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EN ALAN AR MEURVOR
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25 novembre 2009

CHAMBRE

Nous avons tous tendance, je suppose, à surligner mentalement dans les textes d’autrui, les passages, les phrases, voire les courtes alliances de mots qui redonnent vie à nos propres souvenirs et impressions, dont nous n’aurions sinon jamais rattrapé la fugacité. Ces derniers prennent parfois même, aux souffles des mots des autres, une intensité jamais goûtée, une cohérence jamais entrevue. Tout cela sans que nous soyons aveugles à la spécificité de chacun. Tous les textes de Karregwenn évoquant son enfance, directement sur le blog ou derrière le filtre romanesque ont à ce titre, et plus que tout autre, un effet surprenant sur moi : mon propre passé est ravivé mais dans le même temps, il me semble voir, vivre ce passé là qui n’est pas mien. La proximité géographique des deux théâtres de l’enfance n’est que fortuite mais n’en reste pas moins troublante.

Cette année là, alors que j’étais en classe de troisième, je m’étais rendu pendant les vacances de Pâques dans une petite commune de l’Indre où ma sœur effectuait sa première année d’enseignement. Ma mère était tellement protectrice, ou liberticide, c’est selon, qu’elle avait tenu à faire le voyage avec moi jusqu’à la gare de destination. Elle ne pouvait guère prétexter une curiosité à voir l’endroit où vivait désormais sa fille cadette puisqu’elle ne quitta la gare de Châteauroux, de quelques dizaines de mètres, que pour se restaurer, avant de faire le voyage retour. J’avais honte de devoir me faire accompagner ainsi, honte de voir ma mère au restaurant (scène inédite pour moi), y faire mine de trouver mauvais tout ce qu’on y servait. Les rares fois où il me fut donné de voir ma mère manger à une autre table que la sienne – chez sa belle-fille – me permirent de constater cette même gêne à s’adapter à un univers qui n’était pas celui qu’elle régentait. C’est de cette gêne qu’elle tenta – avec succès, souvent – de nous engluer, inconsciemment, j’en suis sûr, pour brider notre émancipation.

Une semaine hors du foyer, ça ne m’arrivait pas si souvent et c’était en soi source d’excitation. Je vis de belles choses, de belles églises et de beaux paysages dont j’ai toujours été si friand. Je garde en souvenir cette journée dans la Brenne, ensoleillée et illuminée de genêts dont je ne savais pas alors qu’ils pouvaient prospérer hors de Bretagne.

Mais c’est du retour dont je voulais vous parler, un retour gratifié d’un évènement attendu, espéré : ma chambre.

Mon frère aîné l’avait laissée libre. Mon père était occupé à la retapisser et repeindre et les travaux devaient être terminés pour mon retour de l’Indre. C’est dire si j’ai connu cette soif d’un espace propre que décrit ma collègue blogueuse, même si les conséquences en sont différentes sur mon psychisme. Né par accident, onze ans après le plus jeune enfant, - onze ans rythmés par une fausse couche et un avortement en Suisse dont je ne connais l’existence que depuis six mois, - il n’y avait objectivement pas de place pour moi. De quoi justifier un second avortement ! Mes deux sœurs se partageaient une chambre, mon frère avait la sienne, si petite qu’on pouvait difficilement imaginer y mettre un second lit, celle-là même que deviendrait mienne quatorze ans plus tard.

Il y avait un recoin dans la chambre parentale où on installa un lit. Un rideau fit cloison. Cet espace avait exactement la taille du lit, si bien que j’y étais comme en une boîte et ce détail, malgré tous les désagréments, m’est souvenir plaisant. Pour m’endormir, mon réduit était propice à l’imaginaire. J’étais dans le wagon-couchette en queue d’un interminable train, traversant d’interminables forêts où des loups faméliques ne manquaient pas de hurler. Ou bien dans un carrosse-lit, tiré par un puissant attelage, poursuivi par des vampires. Il y a quelques années seulement, je vis un reportage sur le grand Nord, où la population locale migrait en faisant traîner leurs cabanes en bois sur des sortes de skis. Il n’en fallut pas moins pour réveiller ces vielles rêveries et je me surpris alors à m’endormir aux images d’un attelage de rennes tirant ma maison sur la neige. J’ai longtemps gardé cette manie infantile de m’endormir en m’imaginant ailleurs. J’avais notamment ce plaisir jouissif à me revoir dormir dans ma chambre de mes quatorze ans, redonnant vie à sa géographie précise, de la fenêtre aux meubles, jusqu’à l’emplacement estimé du lit de ma sœur aînée, de l’autre côté du mur, un demi étage plus bas, entendant même les pétarades esseulées des motos dans la nuit déserte de la banlieue. C’était le plaisir de se remémorer la douleur quand le mal est passé. Dans mon appartement à Quimper, je me revoyais dans ma chambre des Monts d’Arrée, avec l’immensité de la campagne à un mètre de ma fenêtre. Ou alors, adossant ma tête au mur derrière le lit, je ressentais la présence, comme une grosse bête tapie, là bas, à guère plus de cent mètres de moi, de la cathédrale. Il était presque plus difficile à croire à un tel miracle qu’aux plus folles fantasmagories enfantées par mon cerveau. Et puis, un jour, dans ce même studio, chose jamais expérimentée alors, je me suis mis à me représenter mon futur. J’étais dans un lit. A ma gauche, une grande fenêtre ouvrant sur un balcon à la balustrade bleue. Je m’endormais à la pulsation de l’océan. Aujourd’hui, je n’imagine plus rien. J’écoute l’haleine océane me bercer. Tout au plus, les soirs de grande fantaisie, me représenté-je à Ar Maen, à la Jument, à la Vielle, dans un phare en mer. C’est ce que je fis, pas plus tard qu’hier. Mais je remis très vite la bride sur la fougueuse jument de mon imagination car j’avais peur. Le vent était si violent que la maison craquait, que mon lit tremblait et cela ressemblait tant aux descriptions que j’ai pu lire des épouvantables nuits des gardiens lors des tempêtes que je craignis que mon rêve n’accentue encore les effets de la tempête.

Je dormais donc dans une boîte et j’en explosais les cloisons à coups d’imaginaire. Mon père se couchait très tôt. Le temps ne tarda pas à venir où il était au lit avant moi. Et il ronflait. Terriblement. Je chantais, je hurlais pour le réveiller, mais il n’entendait rien. Ma mère accourut un jour de la cuisine où elle restait éveillée le plus tard possible devant la télé, cuisine très éloignée dans cette maison tout en longueur. Elle croyait que je faisais un cauchemar. Mais mon père n’avait rien entendu. J’ai dormi, il y a deux ans, dans la même pièce que ma sœur, qui a le même nez que mon père. J’ai entendu alors cet insoutenable bruit que je croyais relégué aux archives passé. J’ai alors compris pourquoi mon beau frère, qui est pourtant sourd comme un pot, dort avec un walkman à fond sur les oreilles. Entendre quelqu’un ronfler fort est la seule chose qui éveille en moi des instincts meurtriers.

Et, bien-sûr, j’ai été témoins des ébats de mes parents. Mauvais, dit-on ! Je ne peux m’empêcher de penser que cela eut un rôle dans mon orientation sexuelle. Ma mère n’aimait pas. Ca lui était douloureux. Quelle étrangeté – et j’éprouve une vraie gêne à parler de cela – d’entendre un homme prendre (basiquement) son plaisir en une femme qui a mal. C’était laid. J’en ai retenu que le sexe est une chose d’homme. Je ne comprenais pas les scènes de sexe au cinéma. De la fiction ? Comme les grands-parents gâtant leurs petits enfants, que je ne pouvais assimiler à ma sorcière morbide de grand-mère et aux quels je croyais moins qu’au père Noël !

Et puis aussi, plus tard sans doute, mon père endormi tôt se réveillait avant que ma mère ne l’ait rejoint. Avec l’envie d’uriner. (Gast, comment dit-on cela en français de France ?) Il ne trouvait pas la lumière, tournait en rond, se cognait contre les murs, ne trouvait pas le pot de chambre (eh oui !) et finissait par uriner sur le plancher – plus grosse gêne encore -. J’étais tétanisé. J’aurais eu si peu à faire. Mais, en avais-je le droit ? De l’humilier, de le voir à poil ? Alors, j’attendais le bruit du jet sur le plancher, qui me libèrerait de cette séance qui semblait interminable. J’avais honte. Ma mère arrivait enfin, n’allumait jamais (pour ne pas me réveiller !) et alors mon père avouait sa faute : j’ai pissé. Elle comprenait et grognait. Quand nettoyait-elle ? Je ne sais plus. A mon supposé insu (dav e oa kuzhat mezh – je ne sais pas dire). Mais le plancher restait délavé  par endroits.

Alors, malgré ce zizi incontinent, ce zizi qui faisait mal, j’aime le sexe masculin, mais pendant longtemps je n’ai pas aimé le mien. Et, puisqu’on nous parle ailleurs de se gratter la foufounette, c’est dans la boîte, bien-sûr, que j’aie eu ma première éjaculation, la plus émotionnante. Ca m’avait fait peur ! Arf, le corps m’a toujours fait peur.

J’ai aimé ma chambre à moi, bien sûr, mais j’ai tellement plus aimé la quitter, la fuir, pour la Bretagne. Et c’était pour un lit double. Alors, Karregwenn, j’ai partagé ma couche pour être en Bretagne. C’est une évidence. Pour faire à deux ce que je n’aurais jamais su faire seul. Tu n’imagines pas tout ce dont j’étais incapable, sans doute. Je te poserais bien des questions là-dessus, mais, comme d’habitude, je n’ose pas.

Un soir, ma compagne d’alors changea de chambre, peut-être parce que je ronflais. J’avais trouvé cela grisant mais bien-sûr, je n’en dit rien. Pourtant, le lendemain, et cet événement m’est inexplicable, elle y retourna, comme sachant que je n’attendais que cela. Cela espaça aussi les occasions sexuelles, ce qui m’arrangeait. Nous fîmes dès lors chambre à part jusqu’à notre séparation. Jamais la chose ne fut exprimée. Elle advint.

Je n’ai jamais vécu seul. Le plus qu’il ne me soit jamais arrivé de le faire, c’est aujourd’hui, car je suis l’époux d’un comédien. Je passe alternativement de « ma chambre » à « notre chambre », de « tout le lit pour moi » à « la moitié du lit ». J’apprécie ce grand lit pour moi, mais j’aime tant quand ma marmotte de mari éteint sa lumière avant moi et pose sa tête sur mon épaule alors que je lis encore (tiens, rien que de le dire…). Alors…

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Commentaires
K
Ah un jour je publierai la photo de Karagar acharnant sur mon sommier en compagnie de plusieurs autres petits musclés...
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K
Lancelot> La seule chose qu'elle ne dit pas de son sommier, c'est qu'il a été cassé en deux par Karagar, et qu'on imagine pas des choses, hein ! sinon, merci de ton merci et ces ces textes peuvent être un aiguillon aux futurs tiens alors chouette ! (j'ai failli écrire couette, hi!hi!)
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L
Décidément, KarregWenn et son lit auront fait naître bien des souvenirs, bien des désirs, chez d'autres blogueurs !<br /> Gniak gniak gniak... :-D<br /> <br /> Mais non, je déconne. Bien sûr, ce que je veux dire, c'est que sa note sur ce sujet m'a remué, et la tienne aussi, par ricochet. J'avais eu des idées en lisant chez elle, d'autres en naissent à ma lecture chez toi. Les idées, ce sont des souvenirs qui s'habillent. On a tous connu des choses qui se ressemblent, mais teintées de couleurs différentes. J'aurais une vague pudeur à évoquer mes histoirs de chambre, mes "histoires de lit", mais votre honnêteté m'aiguillonne. Nous verrons bientôt si chuis cap' ou pas.<br /> <br /> En tout cas, on ne peut pas rester indifférent en sortant de cette lecture chez toi... Merci.
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C
Entre bien d'autres choses...
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C
Sinon, j'ignorais que tu connaissais la Brenne. Même si je l'ai peu fréquentée, c'est une région que j'ai adoré. Et oui, là-bas, on y trouve des landes paraclimaciques.
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