IN ÉIREANN FIN : LE "CHEVALIER" DE JERPOINT
Nous arrivons en soirée à notre dernier et beau B&B, perdu en pleine cambrousse. Dans la bourgade la plus proche, point de restaurant ouvert. Nous sommes donc obligés de rourner à Kilkenny, sans appareil photo cette fois ! Après le repas, nous déambulons dans la vieille ville qui me fappe beaucoup plus que lors de notre première visite. Il me semble que beaucoup de choses m'étaient passées inaperçues. Vladimir trouve la ville plus conforme à ses souvenirs. Grand soleil et presque chaleur le lendemain pour notre dernier matin irlandais. Du jardin de notre B&B, nous apercevons la raison de notre visite en ce lieu.
L'abbaye de Jerpoint est une des plus belles abbayes cisterciennes d'Irlande. Elle participa à une conspiration contre Cîteaux au XIIIème, car les irlandais n'aimaient guère l'alignement inhérent aux grandes ordres monastiques. Elle fut fondée en 1160, son architecture est donc en partie romane (avec néanmoins l'arc brisé des cisterciens) et des rajouts gothiques (fenêtre du chevet, voûte de croisée...). Mais on voit à quel point dans ces architectures aux murs peu scandés, la séparation entre les deux styles est ténue.
L'abbaye est connue pour son abondance de sculptures de la fin du Moyen-âge, qui font exception dans le contexte monastique et surtout irlandais. Il s'agit notamment de bases de tombes...
et puis aussi, plus originales, dans le très beau cloître, des figures de religieux certes, mais aussi de chevaliers ou d'animaux fantastiques, qui n'auraient pas été du goût de St Bernard !
Il y a aussi cette pierre tombale gravée du XIIIème, représentant deux chevaliers normands, surnommés "the brethren", les frères. Les tombes gravées de chevaliers sont rares. Mais celles de deux hommes ensemble, côte à côte et se faisant face, leur bras se touchant dans une attitude presque tendre, encore plus. Et ceux-ci ont fait couler beaucoup d'encre: une femme guerrière (qui ne peut bien-sûr pas accèder au titre de chevalier) se cachant sous une apparence masculine et son homme? Un père et son fils? Des frères? Des amant?
Malgré toutes ces beautés, rien de tout ça n'est la raison de ma venue à Jerpoint. Il y a ici un autre "chevalier", cette fois bien aux côtés de sa femme, mais la figure est vraiment unique, car à son flanc il ne porte pas une épée...
...Mais une harpe, et quelle harpe! L'Irlande est bien le seul pays où un harpeur peut avoir droit à un gisant dans une abbaye ! On date l'effigie du début du XVIème. Et cette harpe est en quelque sorte la "quatrième". Trois harpes de type médiéval sont conservées (Brian Boru, Queen Mary et Lamont Harp), étonnament semblables au vu de la diversité de formes qui règne du XVI au XVIIIème. Et celle-ci, dont les détails sont très précis malgré l'usure du temps, montre les mêmes traits que les trois pré-citées (y compris le saumon dans la colonne). Autrefois, le gisant était sur un socle à l'extérieur.
Il est aujourd'hui dans l'entrée, à l'abri.
De l'autre main, il semble tenir sa clé d'accordage. Je suis étonné de la fidelité de représentation de la harpe, alors que les vêtements me semblent plus grossièrement sculptés.
Des luthiers se sont inspiré de cette harpe et une "Jerpoint" figure désormais sur certains catalogues.
A ce point du voyage, je me rends compte qu'en cumulant les deux années irlandaises et en six semaines, nous avons, à proprement parler, fait le tour de l'île. Mes pas m'ont mené aussi sur les traces mémorielles ou physiques de l'ancienne harpe gaélique. Mais curieusement, il y en a une que je n'ai pas vue en vraie, et ça manque ! La mienne !
Il va falloir retourner à Dublin !!
Nous voici à bord et là, un curieux arc en ciel se forme dans la brume de mer. Au bas de l'image, dans le cercle clair, c'est ma silhouette.