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EN ALAN AR MEURVOR
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31 mai 2008

PREMIERE LARME POUR UNE VIE REVISITEE

La géographie me tient toujours fermement.  L'atmosphère me manipule tel un pantin. Les vocalises avières jouent d'une autre partition ici, les rugisssements humains ricochent différemment d'une paroi à une autre. Que je fermerais les yeux, que je ne pourrais toujours pas ignorer où je suis, même l'interaction spécifique du savon et de l'eau me le sussurre. Il y a bien  ce grand pinceau de lumière qui, la nuit venue, parcourt le noir du ciel à la manière d'un phare de première catégorie. Mais çà n'est que la tour Eiffel.

Alors je décide d'exploiter enfin le tout dernier filon, le dernier vestige archéologique que j'avais gardé, comme en réserve, comme une dernière petite chose à règler mais qui pourrait attendre. Attendre, ne l'ai-je pas trop pratiquée, cette folle politique de l'attente, autrefois, jusqu'à l'irrémédiable?

Je tape le nom sur la fenêtre des "pages  blanches", un numéro de département - je parie sur l'immuable -, je ne dispose de rien d'autre, sauf d'un atout : le nom est rare en Ile e France, c'est un nom du pays trégorrois. Une réponse, qui a de fortes probabilités d'être la bonne, s'affiche. Seule l'initiale du prénom m'est révélée, mais elle correspond. Il n'en faut guère plus pour se faire une conviction. Le problème, avec les femmes, c'est le mariage, qui les fait soudain "disparaitre" administrativement. Selon toute apparence, çà n'est pas son cas. Cest elle, à n'en pas douter. Alors je reste à contempler l'écran fort longtemps, comme un trou de serrure sur le passé. Une cigarette. La toilette matinale. La page reste affichée à l'écran. Nous ne nous sommes pas parlé depuis dix ans. C'était elle qui m'avait appelé, après dix premières années de silence. Ce coup de téléphone, je le narre dans un livre. Il y a quelque chose à réparer. Bien plus que je ne l'imaginais, mais çà je l'ignore encore. J'ignore aussi que, une heure plus tard, en racrochant, je vais verser des larmes. Des larmes étranges et sereines, avec dix ans de retard. Oui, cette coïncidence des dix ans ne m'avait pas effleuré avant l'appel.

"Allo". Ces deux syllabes me suffisent à la reconnaître. J'élucubre sur mon coup de chance téléphonique avant de décliner mon identité. Silence interrogatif à l'autre bout du fil. C'est Jean-Philippe. Je constate au son étrange que cela fait dans ma bouche, à l'impression que j'ai de m'être mal exprimé, de ne pas avoir trouvé le mot exact qui correspondait à ma pensée, que l'étiquette me colle aussi mal que le mot "droite" recouvre la moitié de l'univers qui s'étend du côté de ma main analphabète. Elle, n'hésite pas et comprend immédiatement à qui elle parle.

Parler de quoi? Grands travaux de défrichement, pour commencer. Toujours en Bretagne. Oui. Non, plus l'Arrée, le Cap.  Et elle. Fini le collège, lycée maintenant, ouf. Ses parents (tous les deux bons bretonants) vont bien. Ma mère, décédée, il y a presque trois ans. Particulières mes relations avec ma mère, tu sais. Ah bon, on ne l'aurait pas soupçonné! Non, je n'en avais pas conscience à l'époque. Et je cachais beaucoup de choses. Diwan? Le statut? Les autres filières bilingues? Les écoles Diwan du Trégor?

C'était toi qui m'avais appelé la dernière fois? Oui. C'était... pour la mort de Christophe? Oui, c'est çà.

Nous y sommes.

Elle me rappelle son malaise à l'époque devant les sollicitations de la mère de Christophe, sa demande de la rencontrer. Elle la connaissait si peu. Moi-même, qui l'avais mieux connue, je ne me sentais guère à même de répondre à cette demande. Et puis, ajoute Soazig, tu sais bien, je ne suis pas à l'aise dans les effusisons. Je rétorque que cette mort m'avais mis mal à mon aise aussi. Pour d'autres raisons. Elle me confie alors que mon attitude, au téléphone, dix ans plus tôt, l'avait surprise, l'avait, elle ne dit pas le mot, mais je l'entends ainsi, déçue. Elle m'avait trouvé... dur. Encore ce mot qui revient inlassablement, qui me crache au visage et qui me semble pourtant si peu s'appliquer à ce que je suis au fond de moi. Déçue de mon manque de compassion. Elle m'en livre son interprétation de l'époque. Qui me choque : rejet de l'homosexualité de Christophe, crainte qu'ayant été son meilleur ami, on ait pu croire que...

Non, j'étais mal à l'aise car je suis moi-même homosexuel.

J'évoque le livre, la phrase qu'elle avait prononcée lors de ce coup de téléphone et  que je cite dans le texte. Nous repassons au crible, un peu pressé par le temps, notre "triangle" amical. Je sursaute  à l'expression "secret de polichinelle" au sujet de l'homosexualité de Christophe. Cent fois non, moi, je l'ignorais. Je rappelle nos différences, la question de notre amitié étrange (et non particulière). Elle s'était posé cette question. Elle avait pensé à l'enventualité d'une histoire d'amour entre Christophe et moi. J'infirme sans hésiter.  Mais au fond, avais-je bien compris les propos de Soazig. Je ne pense pas à l'inpensable. Nous parlons de son grand départ, à vignt ans, qui m'a tant marqué et qui l'a tué. Son changement d'attitude a été ressenti pareillement par Soazig. Désintérêt soudain pour ses anciens amis. Captation par autre chose. Bien sûr son homosexualité enfin assumée était alors son essentiel. La vie aurait dû, plus tard, rééquilibrer les choses. Mais en eu-t-il l'occasion, le temps? Le marqaunt alors au fer rouge, la vie lui laissait elle vraiment le loisir d'être autre chose qu'un homo? Je cite à cette occasion la phrase cruelle que m'avait lancée son meilleur ami de sa deuxième vie : il s'est éloigné de toi parce que tu étais hétéro. Déjà, dans cette rencontre, j'avais eu l'impression de faire parler les morts. Je prends conscience que cette quête est au fond très proche de la nouvelle "l'enquête", pure fiction, que j'ai écrite dans la revue Al L*iamm et d'un projet de roman que j'ai. Ne cessera-t-on donc jamais de se raconter sans le savoir? Et voilà que les morts parlent de nouveau dans la bouche de Soazig. Elle réagit à cette phrase "il s'est éloigné de toi parceque tu étais hétéro." Tu vois, c'est bien ce que je disais, c'était une histoire d'amour. Mais non, rétorquai-je, c'est juste qu'il pensait ne pouvoir partager avec moi ce qui était essentiel pour lui, à l'époque. Peut-être, me répond-elle, mais tu sais, il t'admirait beaucoup, il se voyait trop superficiel par rapport à toi, alors... Tu sais tous les trois, on parlait tout le temps mais on ne disait rien.

La conversation est écourtée. Elle doit partir.

Soazig m'a donné soudain une piste inconcevable de relecture d'une partie de ma vie qui donnerait à troute cette histoire, qu'il l'était déjà passablement, un tour encore plus dramatique. Le drame du non évenement

Je retourne sur le balcon, j'allume une cigarette et je pleure. Je pleure Christophe pour la première fois .

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Commentaires
K
Oui, j'avais compris que ce coup de fil était assez "carré". Je parlais de ma propre émotion, lors d'un coup de fil de retrouvailles. C'est vrai que tu es "carré" ! Bonne nuit !
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K
Kridienn> Assez curieusement ce coup de fil était tout sauf émotionnel. Il était même assez "carré", ce qui cadre avec la personnalité de Soazig et avec ce que je peux être aussi. Ce qui donnait plus de force et de vraisemblance à son témoignage. L'"émotion" est venue après portée par la compréhension de certaines choses qui sont contenues dans le texte mais entre lesquelles je ne tisse pas lesl iens ici, en plein jour. Bone nuit, hi!hi!
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K
Ah, le premier coup de fil après les pages blanches, ça marque pour longtemps... Surtout quand l'émotion est palpable au bout du fil !
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K
Les pages blanches oui, mais après....le coup de fil ! Et ça c'est une autra affaire mes amis, moi je vous le dis.
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K
Les pages blanches, le nom retrouvé, le contact repris, j'ai fait le même genre de chose pour retrouver un être cher, il y a 8 ans. Cette recherche fructueuse a marqué un tournant dans ma vie... Merci les pages blanches !<br /> Heureux ceux qui pleurent. Heureux ceux qui rient aussi ! Heureux ceux qui expriment leurs émotions !
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