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EN ALAN AR MEURVOR
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4 janvier 2008

LA CATHEDRALE DE LINCOLN

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Assez curieusement, je n’ai pas choisi Lincoln. Une fois de plus, ce rendez-vous que je n’ai pas vraiment pris, illustre ces moments de ma vie où, me laissant ballotter par le destin, j’arrive exactement là où je devais être. C’est Vladimir qui m’annonça un jour, jouant au tour operator, que nous pourrions visiter cette cathédrale. Il avait en tête, pour me les avoir entendu ressasser plus que d’autres, une litanie de noms d’édifices qui me tenaient particulièrement à cœur et qui constituait en quelque sorte une « première division ». Lincoln était bien sûr du lot. Vladimir pourtant, n’avait pas retenu, qu’elle était de surcroit la seule cathédrale anglaise que je citais dans mon roman.

Avant même de la découvrir, j’arrivai à la conclusion, lors de quelques discussions outre Manche, que cette cathédrale bénéficiait d’un grand prestige en son pays, et était considérée comme l’une des plus belle de Grande Bretagne, peut-être un peu comme Chartres en France. Je n’avais pour ma part, on peut s’en douter, aucune notion de ce genre de « classement » et de la représentation qu’ont les anglais de leur propre patrimoine architectural.

Lorsque j’étais au lycée, il y avait au centre de documentation, une bibliothèque vitrée qui renfermait des ouvrages qui n’étaient accessibles qu’en en demandant la clef à la documentaliste. Il s’y trouvait quelques livres assez anciens que j’avais repérés. Demander régulièrement cette clef, alors que les autres élèves se contentaient des livres sur les rayonnages ouverts, m’était mortification. Je déteste toujours demander. Parmi les ouvrages convoités en était un, dont je me rappelle encore l’odeur, qui présentait des photographies en noir et blanc de l’Angleterre et où je pouvais apercevoir des silhouettes de cathédrales étranges et fascinantes. Je me constituai un puzzle à partir de ces miettes éparses et la rareté, on le sait, donne du prix. J’étais un drôle d’élève qui regardait des images plutôt que de lire et en concevait sans doute une honte inavouée. A cette époque, où je n’avais même pas le loisir de visiter les cathédrales d’Ile de France, tout proches, celles de Grande Bretagne, outre que leur architecture m’était indéchiffrable, me semblaient inaccessibles. Ma mémoire a sélectionné un de ces jours d’errance iconographique, un jour d’hiver, alors que les rayons obliques du soleil pénétraient la grande vitre de la salle du lycée. Il y a la même lumière lorsque nous arrivons à Lincoln.

Je donnerai quelques détails architecturaux plus bas mais je voudrais ici faire un parallèle linguistique. Lorsque je pénètre dans la cathédrale, l’impression qui m’envahit graduellement, outre le plaisir des yeux, est d’être dans le même effort dans lequel je suis depuis plusieurs jours déjà, de me débattre dans une autre langue. Je parle mieux gothique anglais qu’anglais tout court, certes, mais j’ai la même sensation de ne pas être certain de comprendre tout le vocabulaire, toutes les expressions, de risquer de trébucher sur des faux amis. La chronologie est déroutante, tel détail me semble incroyablement moderne, tel autre très archaïque, mais je me laisse bercer par une mélodie aux accents mystérieux et nouveaux.

La cathédrale est immense, interminable. Sa silhouette est bien calée par ses trois tours, deux en façade, une sur la croisée du premier transept. Elle est obsédante, un brin maléfique, comme une autre…

Le choc que je ressens à Lincoln est le plus grand paradoxe qui se puisse concevoir en effet. C’est celui de l’étrangeté que je viens d’évoquer mêlé à celui de la plus grande familiarité. J’ai l’impression que ma cathédrale a été construite, que l’ambiance de mon roman a été reconstituée, comme si j’avais décrit ce que je ne connaissais pas encore. Je le reçois comme une récompense, un bonus inattendu, une confirmation. Les cathédrales anglaises ont souvent gardé leur enclos, qui forme presque une ville dans la ville, protégée par des murs, s’ouvrant sur le monde au moyen de portes monumentales. A l’intérieur, des espaces aérés, cloitre, chapter house, palais épiscopal, manoirs et quantités de constructions médiévales. Un monde à part, un peu semblable à celui que je décris et qu’on a pu croire improbable.

Lors de notre premier parcourt à l’intérieur de la cathédrale, au crépuscule, alors que la lumière déclinante du jour joue en harmonie avec l’éclairage artificiel, nous nous arrêtons au droit du transept oriental et je suis frappé de l’incroyable effet de multiplicité des surfaces où l’œil s’égare et que j’essaie de décrire dans mon roman. A ce moment, je me tourne vers Vladimir pour lui signaler que l’endroit est une parfaite illustration de la diaphanie gothique. J’ouvre la bouche, mais je n’ai pas le temps de dire le moindre mot que j’entends Vladimir me dire : ah, là je vois très bien cet effet que tu décris dans ton roman… Je reste sans voix. Je ne lui dirai que plus tard cette incroyable convergence qui est un de ces petits moments de l’existence qui comblent un être.

Nous avons droit à un roof tour qui nous mène dans les entrailles de la cathédrale, réputées complexes et que j’évoque dans mon livre. Dans une des tours, l’un de mes plus grands fantasmes : une pièce meublée qui pourrait être une chambre : c’est la pièce des bell ringers, activité spécifiquement anglaise que le guide nous détaille (et j’étais le seul à connaître un peu l’affaire !). La charpente garde quatre vingt pour cent du bois d’origine. Au centre, une allée chevauche les voûtes et vient frapper le mur de la tour de la croisée. Disposition que je n’avais jamais vue mais que j’avais décrite dans mon roman.  Et que vois-je à l’entrée du toit ? Une maquette, représentant la cathédrale du temps où elle avait ses trois flèches, la rendant plus semblable encore à la cathédrale imaginée !

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Rendez-vous avec l’histoire donc, avec un « h » minuscule.

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Le choeur est invisible, masqué par un écran au milieu de l'édifice. L'accent est mis sur le mystère de la progression et l'horizontalité à l'inverse du gothique français, vertical et où le regard est conduit d'un seul jet vers la gloire de l'abside. Notez la diversité des supports et la polychromie des pierres obtenue grace à l'utilisation du marbre de Purbeck, poli.

L'édifice est plus orné et le soucis du détail plus poussé qu'en France :

Mur du bas côté (nef, early gothic)

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(choeur, decorated style)

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Les proportions sont aussi tout autres qu'en France, les fenêtres n'occupent pas toute la lunette de la voûte, ni en largeur (comme en Bretagne), ni en hauteur. Dans le gothique français la fenêtre descend bien plus bas que la naissance des voûtes.

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(Chartres pour comparer)

La tour lanterne :

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Crazy vault, la voûte folle : incroyable effet illusioniste, dans la partie la plus ancienne de la cathédrale ! L'illisibilité du parti contre la rigueur française...

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Dédoublement à l'extrème des surfaces, la diaphanie gothique, ici dans le transept oriental :

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Le pilier central du Chapter House :

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Coucou!

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Commentaires
K
Ca va bientôt faire une demi-heure que la page est ouverte et je n'ai que 3 photos,...AH NON TIENS ELLES ARRIVENT !!!!<br /> Bon là je suis baba totale, juste bonne à éructer quelques gros mots admiratifs, genre "putain c'est trop", on reviendra + tard.<br /> Ah la tour lanterne, ça me fait penser à un kaléïdoscope qu'on m'avait offert, je m'imagine tournant sur moi-même la tête en l'air. Vertige !
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K
J'ai même été à Cluny mais cela me semble si loin... J'étais jeune et bien portante, c'est dire ! ;-)
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K
Non, mais là le temps est trop pourri... Je vais attendre des jours meilleurs avant d'y retourner !
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K
Kridienn> Roscoff n'est pas si loin!
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K
Cornus> Bien vu, le double transept est la règle outre Manche (sauf à Westminster, j'y reviendrai)alors que Cluny faisait figure d'exeption de ce côté ci. C'est pourquoi je parle de "transept oriental" dans la note, car il y en a un "occidental".<br /> Ma cathédrale n'en a qu'un car, à sa taille près, je l'ai toujours voulue plausible stylistiquement à l'endroit où elle se situe (Bretagne). Je n'ai jamais détaillé nulle part bien sûr toutes les réflexions menées pour faire cette maquette mais il y en eut... Merci pour ton comment.
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