EN LUSITANIE 2 : BATALHA
Disons le sans détour, je voulais aller au Portugal un jour dans ma vie pour le monastère des dominicains de Batalha. Mon commerce ancien avec l'art gothique m'avait fait voir depuis bien longtemps des images de cet édifice bien sûr, mais de l'extérieur seulement et son exubérence flamboyante, son absence de toit m'en avait détourné. Et puis un jour, feuilletant un livre sur l'art ogival, je suis tombé sur une vue du vaisseau central de l'abbatiale et j'étais resté pantois devant une telle verticalité, une telle sobriété. Que cet intérieur puisse être le pendant de ces dehors baroques avant la lettre était inimaginable. Batalha, en image du moins, m'apparut dès lors comme une des grandes choses du gothique.
La réalité était bien au delà de ce que j'imaginais. Même les aspects dont je craignais qu'ils ne me plussent pas m'envoûtèrent. Je pense en particulier au cloître de style manuélin, cette version lusitanienne du flamboyant, qui intègre l'héritage mauresque et des motifs liés à l'expansion maritime de l'époque, très chargée. Pénétrer sous ces arcades a été un vrai ravissement, je ressentais avec évidence le double plaisir du gothique et de ce que j'avais pu éprouver dans les palais arabes d'andalousie.
Ce monastère a été édifié à partir de 1388 suite à un voeux pour commémorer une victoire décisive contre l'Espagne. La construction se poursuit bien au delà des premières années du XVIème.
Deux architectes principaux sont responsables de Batalha. L'origine du second (David Huguet) est discutée mais il aurait pu être britannique ou irlandais. En tout cas il connaissait le gothique d'Outre-Manche. L'influence du perpendiculaire est évidente dans le décor mural mais aussi le remplage des fenêtres (qui m'a fait pensé à Tréguier, Keramanac'h et autres) est très anglais. Mais il connaissait le gothique fançais à n'en pas douter, vue la verticalité et la sobriété qu'il a données au vaisseau. Plus surprenant le porche du transept sud fait penser aux portails anglais du XIIIème. D'ailleurs, cette église, très innovante, montre d'autres tendances archaïsantes (comme ces arcs doubleaux et ces retombées très épais tels ceux des premiers âges du gothiques).
La première vision de la nef si étroite, haute (32,50 m comme N. D. de Paris) et sobre (voûte très simple, pas de triforium), somme toute monacale, après la surenchère extérieure sous un soleil aveuglant (au sens propre pour mes yeux bleus) est une expérience inoubliable.
Le choeur ne comporte pas de déambulatoire mais quatre chapelles orientées parallèle au sanctuaire (4) comme Cluny II.
Si le portail sud de style anglo-normand n'a qu'un décor d'arcatures le portail ouest est une grande page de sculpture à la française.
La salle capitulaire (6) du premier architecte semble défier les Chapter houses anglais. Plan carré, voûtement qui suggère l'octogone mais surtout pas de pilier central alors que l'espace à voûter est immense. Il fallu s'y reprendre à plusieurs fois pour réussir ce prodige d'architecture. A tel point que l'architecte s'est représenté portant la voûte sur son dos. J'ai été frappé que cette salle capitulaire, comme toute celles que j'aie vues dans des abbayes, est à l'est du cloître et s'ouvre sur lui par un porte très ornementée et encadrée de deux fenêtres géminées. Cette permanence du motif par delà les styles (roman/gothique), des frontières et des ordres monastiques est stupéfiante.
Le cloître royal a quelque chose d'une cour de palais.
Le lavabo se greffe sur les arcades du cloître et en redouble l'effet dans une troublante diaphanie.
Le second cloître, plus tardif, nous ramènerait presque au début du gothique. Jamais je n'avais vu comme au Portugal, les architectes se jouer des modes et de la chronologie apparente. Il est par ailleurs à double étage et cela semble très ibérique, car j'avais vu la même chose à Burgos.
La chapelle du fondateur (2) est aussi d'une beauté troublante. C'est au départ le mausolée du roi Jean 1er, fondateur du monastère mais elle devient une nécropole royale pour un temps. C'est un octogone qui s'inscrit dans un carré. C'est superbe et troublant pour l'oeil, les références sont multiples, de l'angleterre à la chapelle palatine de Charlemagne.
Les chapelles imparfaites enfin, sont un immense octogone entouré de chapelles rayonnantes et placé au chevet de l'église, avec laquelle il ne communiquent pas. Le vestibule s'ouvre sur l'octogone central par une immense arche de style manuélin. Remarquez dans les ornements que le répertoire va du portail royal de Chartres à la renaisance (XII-XVIéme)! L'édifice voulu par le roi Duarte comme un panthéon ne sera jamais terminé. Aujourd'hui la voûte est bleue, d'un bleu inédit. Il faut dire que jamais je n'avais vu un ciel aussi bleu qu'au Portugal.