DORDOGNE
J’ai rapporté des cailloux. Joli ce mot, n’est-ce pas ? On dirait du breton. D’ailleurs, n’est-il pas celtique d’origine ? Il faudra que je vérifie. Enfin, quand je dis des cailloux, j’hyperbolise quelque peu. Deux, seulement deux. Je m’en veux tellement d’avoir oublié de prendre un éclat de la Soufrière. Dans la petite rocaille, je n’avais jusqu’à aujourd’hui qu’une pierre souvenir. Un bout de lave également, d’un mont d’Auvergne, cueillie au fond d’un cratère inoffensif. Il est tellement léger qu’il ne tient pas en place et roule sur le lourd roc de granit au moindre souffle de vent… à moins que ce ne soit le chat. J’ai rapporté deux pierres, l’une rousse, l’autre bordeaux. Isolément, elles ne sont guère impressionnantes et leur couleur est presque affadie de leur petitesse mais elles me rappellent l’affleurement dont je les ai arrachées, l’un au bord d’une route de Dordogne, l’autre à l’orée de la Catalogne du Sud, le long d’une route toute neuve et déserte dominant le lacis d’une rivière encaissée où des dizaines d’hirondelles nous faisaient un remake des « Oiseaux » de Daphné Dumaurier. La roche me fascine, particulièrement lorsqu’elle montre des dents le long des routes, confirmant les soupçons d’acidité ou d’alcalinité qu’ont éveillés en moi les végétaux, elle me fascine lorsqu’elle fait alterner les profils, les couleurs et les consistances. Quelques cailloux arrachés à la paroi, morceaux épars, traces de petit Poucet, voila ce que seront mes évocations de notre périple estival.
Cholet, Poitiers, Limoges, c’est exactement l’itinéraire du voyage de l’an I, pour paraphraser les révolutionnaires. Les fougères aigles disparaissent pendant quelques heures pour surgir de nouveau aux abords du Limousin. Je le fais remarquer à Vladimir. Et j’ai une pensée pour le début du blog, il y a cinq ans, où je parlais de ces alternances végétales à moins que ce ne fût de la couleur changeante des hortensias, mais c’est du pareil au même.
Le Périgord, j’ai envie d’en dire que c’est évidemment beau. Seul quelqu’un qui n’aime pas la verdeur n’y trouverait pas son compte. Le végétal est opulent, et de surcroit il n’est pas de village dont les maisons ne vous tirent une exclamation. Mais ça n’est pas tout. Peu s’en faut qu’il y ait un château à chaque tournant, et du joli ma foi. Bref, luxuriance végétale et luxe architectural se donnent le mot pour gâter le visiteur. La maison qui nous attend est belle et rousse, comme il se doit, en bordure de bois et la route qui y mène, étroite et sinueuse, au gré d’un relief en creux, traverse des paysages enveloppant. C’est un couple d’américains, gens de spectacle (danse et théâtre) semi retraités qui nous accueillent. Ils ont contribué au démarrage du spectacle « Moi et Shakespeare. » Pendant deux jours, je vais sombrer dans la ouate de la semi compréhension de ce qui se dit autour de moi. Mon esprit s’échappe d’autant plus facilement pour suivre la volubile ipomée escaladant la tonnelle, humer les bouffées de lavande dans la tiédeur vespérale.
La matinée du lendemain devant être consacrée à un débriefing de la nouvelle version du spectacle, nos hôtes s’inquiètent de m’occuper. On s’enquiert de mes goûts. Je réponds, qu’un vieux château ou une vieille église ferait tout à fait l’affaire. Je m’attendais à ce qu’on me montrât sur une carte les édifices intéressants des alentours, mais, au lieu de ça, N., notre hôtesse, m’invite à emprunter le sentier derrière le jardin et à le suivre jusqu’au bas du coteau. Je m’exécute et me trouve face à une immense forteresse en ruine étagée sur une paroi rocheuse qui domine la vallée où je me trouve. En face, un autre château, intact celui-ci, le nargue. Petit déclic soudain et bien connu de moi, le monument m’adresse un clin d’œil. Beaucoup d’édifices se contentent de me plaire, quelques uns m’adressent un message. Et celui-ci me dit : Je suis le château de Parfois. Il correspond de façon troublante à l’image que j’avais bâtie dans ma tête de cette forteresse imaginaire de la trilogie d’Edith Pargeter. En réalité, il s’agit d’un regroupement de maisons fortes, une sorte de village de châteaux, dans l’enceinte duquel on pénètre via un porche qui passe sous le chœur de la chapelle. Calcul stratégique du temps de la toute puissance de la foi puisqu’un homme en armes ne saurait passer sous un autel. Bien me prend de la visiter car nous n’irons pas voir les châteaux cathares comme prévu. Le destin le savait-il qui me fait visiter deux magnifiques forteresses en prélude, celle-ci, et un autre château que je brûlais de voir depuis longtemps et dont je parlerai plus tard.
De la Dordogne, qu’il me soit permis de rapporter un second cailloux, un jardin potager cette fois. Lorsque nous poussons le portillon qui ouvre sur le courtil de P., notre hôte, nous retenons notre respiration et Vladimir mesure le chemin à parcourir. Sur ce lopin de terre, rien que de la plante alimentaire, mais le soin évident qu’on y apporte, la luxuriance des plantes, donne à l’ensemble une magnificence inégalée. Je pense au climat, chaud et bien arrosé, mais je soupçonne très tôt que ces végétaux sont suralimentés. Quand P., pour finir, nous détaille la mise en œuvre du potager, je me dis que la réalité dépassait tout ce que j’avais pu concevoir. Vous n’imaginez pas le nombre de choses, toutes naturelles au demeurant, et dignes du plus sévère label bio, qui ont été enfouies sous ces plates-bandes préalablement creusées sur un mètre ! Un travail à plein temps sans-doute.
Dordogne, dernier caillou. Une chapelle romane insoupçonnable et nichée au fond d’un bois. Une nef unique voûtée d’un berceau brisé, menant à un sanctuaire où s’ouvrent un oculus et trois lancettes, à la manière cistercienne. Une acoustique de rêve. Pas un chat à des kilomètres à la ronde, sans doute. Vladimir et moi, pour N., entonnons chacun un chant de nos répertoires respectif… Me am boa choazet ur vestrez hag he c’haren parfet… Moment rare.