IWERZHON 7
LE PAYS TOUT GRIS
Le lendemain, c'était journée migration vers le County Clare dont le nom résonne moins dans les oreilles que Kerry ou Connemara ou encore Donegal. Un peu de route donc. Les deux choses que nous voulions y voir se trouvaient sur un périmètre heureusement assez resserré, évitant du même coup les déplacements excessifs en voiture toujours un peu fatiguants et longs (les routes secondaires sont étroites et très bosselées): les Burren et les falaises de Mohair/Moher. J'était assez tenté par Loop Head, interminable pointe en table rase, mais sa longueur précisément la rendait inaccessible.
Un peu avant Limerick, nous fîmes un arrêt à Adare, réputé l'un des plus beaux villages d'Irlande, pour notre pique-nique et bien que le guide que nous avions l'eût laissé entendre à mi-mots, ce fut une mauvaise surprise, la seule du voyage je dois dire. Tout était surfait et artificiel. Locronan, sans le bâti exceptionnel de Locronan ! Il y avait bien une profusion de ruine de monastères, églises, château mais la moitié était sur un terrain privé de... golf ! Allez, une mention pour l'augustinian priory, de la fin du Moyen-âge, minuscule abbaye resserrée autour d'un mini-cloître, un groupe de bâtiments très restaurés mais avec beaucoup de charme.
Nous fîmes aussi un petit arrêt à Limerick, ville ouvrière et industrielle sur la Shannon, le plus grand fleuve des îles britanniques. On y voit un château construit par Jean-Sans-Terre et une cathédrale assez laide avec un portail roman. Le tout, aidé par un ciel bien bas, assez sinistre, je dois dire.
Enfin nous arrivâmes à Kilnaboy où aucun garçon ne fut assassiné. L'église est en ruine, comme il se doit, et la tour ronde, hélas pour moi qui rêvais d'en voir, n'est plus qu'un moignon. Mais j'aurais largement ma revanche.
Si tant d'églises sont des misérables ruines, c'est que notre cher Cromwell, pas à une humiliation près du peuple irlandais, les a toutes brûlées. Toutes, c'est une exagération rhétorique mais enfin, j'en ai vu tant qu'on a du mal à imaginer un tel acharnement.
Non loin de là se trouve notre Bed and Breakfeast qui restera notre préféré. Nous y passerons trois nuits. C'est une grande maison avec plusieurs chambres. D'un côté, en bas, la salle où sont pris les petits-déjeuners, de l'autre côté du couloir, le salon où chaque soir, dans le minuscule calorifère, un feu de tourbe est allumé. Les chambres sont (trop) petites et l'accueil des nouveaux hôtes semble obéïr à un rituel précis, si bien que nous avons craint, un moment, l'étouffement. Mais ce sentiment se dissipa devant l'accueil et l'humour de Mary. Nous vivrons dans les Burrens nos journées les plus sombres et les plus pluvieuses du séjour et finalement, cette ambiance un peu cosy sera au diapason de la météo. Mary, chaque soir, nous donne une fiche à remplir de nos choix pour le breakfeast, avec choix d'entrées et de plats de résistance. Tout est fait maison (confitures, salades de fruits, gâteaux différents tous les jours), les fromages qui entrent dans les menus sont locaux et tout à l'envi. Surtout, chaque chose est excellente. Une mention à la salade de fruits, assez différente de ce qu'on mange sous cette appellation habituellement - un régal - et au porridge têtes d'épingles où les flocons d'avoine sont de la taille susnommée.
Très vite je remarque, à maints détails, l'importance accordée à la langue irlandaise dont il est dit, dans le dépliant de présentation, qu'elle est, à égalité avec l'anglais, une des langues de la famille - cinq enfants quand même. (Vous n'imaginiez quand même pas que je n'allais pas vous causer gaélique !) D'ailleurs, l'affichage dans la maison - comme dans le pays - est bilingue. Bien sûr, mon métier suscite tout de suite l'intérêt. Je comprends assez vite (et j'entends même alors que j'enregistre Mary me dire quelques mots en gaélique) que ça n'est pas leur langue maternelle. Je ne voudrais pas me lancer ici dans des considérations qui m'amèneraient trop loin, mais j'ai accumulé quelques indices et sur les grosses différences dialectales existant dans cette langue et sur les difficultés de communication parfois entre les locuteurs traditionnels et les "lettrés" qui n'ont pas manqué de me rappeler quelque-chose et m'ont fait sourire intérieurement à ceux qui fustigent ces faits concernant la langue bretonne et voudraient nous faire croire qu'elle est la seule langue au monde à avoir ces problèmes.
Dès le début du séjour, mon oreille était un peu à l'affut. Il y eu plusieurs cas, assez stupéfiant, où j'étais incapable de dire quelle langue j'entendais. La musique n'était clairement pas celle de l'anglais - la musique des vieux en Bretagne est elle celle du français? - mais qu'en était-il des mots? Or, dans certains cas, Vladimir ne me fut d'aucun secours ! Nous nous sommes dit que parfois, le vocabulaire était mélangé, une sorte de créole extrême occidental en somme. La première fois que je fus sûr de mon fait, c'était dans une église, à Cahersiveen, dans le Kerry, des (grands?) parents et leurs (petits?) enfants. Ils s'adressèrent d'ailleurs à moi en anglais pour me vanter des bouteilles d'eau sacrée de saint Je-ne-sais-plus-qui. Une autre fois des ouvriers élagueurs à Portmagee. Quant aux ouvriers travaillant à l'abbaye de Ballinskelligs, nous ne pures déterminer leur langue. J'entendis aussi une famille où mari et femme se parlaient anglais et où la femme parlait irlandais à ses enfants. Bref, toute la diversité du monde... Pour finir, je précise que les zones de langue gaélique forment des taches disséminées dans le pays. Des panneaux, an gaeltacht, nous l'indiquent toujours.
Le lendemain, nous partons à la découverte des Burren dans le Burren national park, plateau karstique où les plaques de pierre fissurées affleurent partout, un sorte de désert pluvieux. Le calcaire carbonifère est d'une belle couleur grise qui s'harmonise avec celle du ciel et pour moi, les Burren, c'est le pays où tout est gris. L'endroit est connu pour sa végétation méditerranéenne et alpine.
Au milieu de ces étendues inhospitalières, une parfumerie entourée d'un jardin, où on a mis à profit la richesse florale du pays pour confectionner parfums, savons et autres tisanes.
En route pour Black Head pour voir le plateau calcaire mourir dans la mer, nous passons près du célèbre dolmen de Poulnabrone (cadrage trompeur, il y avait du monde autour)
et le château-tour de Newtown, que je vais voir de plus près car pour une fois la tour est ronde. Il fut construit vers 1550 (j'ajoute, bien après Azay Le Rideau, Chenonceau et Chambord pour donner la mesure du décalage !).
C'est sans conteste à Black Head que nous avons pris toute la mesure de l'étrangeté des Burren. Au pied de la colline, une grande terrasse naturelle au dessus de la mer ressemble à un pavage fait par des géants où des grosses boules ont dégringolé et se sont figées.
Bon, à ce moment, parcequ'il il était tard et malgré l'obscurité ambiante, nous avons tenté une incursion à Mohair. On nous avait dit en effet, qu'à partir de 19h00, le parking (6€ par personne !!) était gratuit. Sur place, il pleut, il brume, on ne voit rien, et malgré cela, le gardien nous affirme que les horaires ont changé, c'est désormais à 20h que les barrières s'ouvrent. Bye! Je mets à profit cette mésaventure pour faire une inspection. Le guide précise bien qu'on ne peut pas passer outre le parking. Et en effet, pas d'acôtement et des grillages partout, je ne peux pas la jouer à la bigoudène. Finalement, têtu que je suis, je trouve quand même un emplacement pas trop éloigné d'un chemin dont il me semble qu'il rejoint la ligne de côte un peu plus bas. Je suis méfiant quand même, il y a des caméras de surveillance en des endroits insoupçonnés mais bingo, ça marche. Nous accédons donc au rivage, à un endroit où les falaises s'abaissent. C'est un très bon point de vue mais les murailles noires de Mohair sont décapitées par les nuages ! Nous reviendrons le lendemain, temps permettant, après avoir élaboré une stratégie. Mais avec le recul, je ne sais pas si je ne préfère pas ces photos aux plus classiques que je ferais peut-être le lendemain..
(à suivre...)