LA MOUETTE
Hier soir, je suis allé voir La Mouette au grand théâtre, dans une mise en scène d'Ostermeier que j'avais déjà vu à l'oeuvre dans un Ibsen qui m'avait déplu.
Ce fut l'inverse pour la pièce de Tchekhov. Les quelques premières minutes m'ont fait craindre le pire, la scénographie d'une froideur à me faire fuir - mais elle fonctionna très bien une fois mise en oeuvre - et les digressions et postures modernistes sur le premier dialogue. Ensuite tout rentra dans l'ordre. Le parti pris se justifiait et les acteurs était formidables. Dont une assez époustouflante, j'y reviendrai.
C'est une pièce désespérante et magnifique.
Ce n'est pas dans mes habitudes de faire des critiques théâtrales ou littéraires. Je ne sais pas faire. L'art qui me déplaît me fait me taire et celui qui me plaît me donne envie de créer à mon tour, pas trop de commenter.
Mais cette fois, c'était différent, c'était La Mouette. La dernière fois que j'avai vu cette pièce, j'y jouais et j'avais 16 ans.
J'ai vraiment regardé ce spectacle pour lui même, sans arrière pensée. Mais malgré tout, à certains moments, me remontaient, de cette histoire oubliée, des bouffées comme d'une ancienne vie vécue.
Le comédien qui jouait Treplev avait dans sa silhouette et vu de loin, quelque chose qui ressemblait à mon ami Christophe, qui m'avait à l'époque entraîné dans cette chose impensable alors pour moi que faire du théâtre et qui endossait ce même rôle. Quand des bribes me revenaient, s'engouffraient parfois, dans le même courant d'air, des effilochades de passé, comme un parfum fugace. J'eus à des moments quelques émotions qui n'étaient pas provoquées par l'histoire du dramaturge russe.
Je me suis surtout posé des questions sur moi-même. Comme avais-je pu oublier à ce point la trame, les ressorts de l'histoire, certains personnages même. Est-ce normal? Où avais-je la tête? Toutes ces répétitions... Étais-je vraiment avec les autres? Aurai-je pu imaginer un instant à l'époque ce que je fais aujourd'hui?
Bref, je suis très heureux d'avoir revu La Mouette, dont je sais/je sens qu'elle a laissé une empreinte dans ma vie, même si elle semblait l'autre soir effacée.
Enfin, j'ai eu une énorme surprise. Je regardais depuis un moment Irina Arkadina, femme haute en couleur, colérique à souhait, jouée par une actrice puissante avec une large palette, quand soudain, je me fixe sur son visage. Il faut dire qu'elle portait souvent des grosses lunettes noires au début et qu'à partir d'un moment, dans la pièce, elle les enlèva régulièrement. Je suis assez physionomiste et malgré la distance je suis assez sûr de voir quelqu'un que je connais, mais la voix, la puissance, rien ne colle, ou alors, si 'est vraiment elle, j'en serais baba.
Dès la pièce finie je me précipite vers une brochure que je n'avais pas eue à l'entrée où figure le 'casting'. J'avais raison, c'est Valérie Dréville, que je viens de voir en héroïne d'un film armoricain, où elle est si douce, si délicate, parait si fragile aux antipodes d'Arkadina. Franchement, s'il existe des comédiens/nes à coup sûr en voici une qui force l'admiration.