LA LETTRE
Je ne reçois que peu de lettres dont l’adresse est manuscrite. Signe des temps, sans doute. En découvrir une, toute esseulée parmi les imprimés des factures et autres relevés bancaires, prend des allures d’événement, donne même un petit aiguillon d’excitation. Je retourne l’enveloppe pour en découvrir l’expéditeur, de ce regard en balayage qui ne s’accroche qu’à la singularité. Je passe donc le prénom sans le voir et m’arrête au patronyme. C’est un nom composé, sans doute nom de jeune fille/nom d’épouse. Le premier, c’est également mon nom. Je me porte alors sur le code postal. C’est celui du département dont était originaire mon père. Je n’y ai pas mis les pieds depuis plus de trente ans et j’ignore tout de ce qu’est devenue cette parenté depuis lors. C’est étrange cette lettre qui me parvient à cette adresse qui est mienne depuis si peu, à plus de 900 km du lieu d’expédition. Je me sens fuyard débusqué dans son exil du bout du monde.
Quel peut bien être l’objet de cette missive ?
C’est une de mes cousines germaines, fille d’un des frères de mon père. Je me souviens très bien d’elle car j’ai assisté à son mariage. J’y portais le premier costume de ma vie. Le second fut acheté pour les noces de Cornus et Fromfrom, le troisième pour mon propre mariage ! Elle me demande si je suis son cousin car elle envisage de réunir tous les descendants d’Auguste, notre grand père commun, un homme mort à 94 ans, une espèce de figure tutélaire, je n’avais pas 10 ans. Elle me charge, si je suis la bonne personne, de la mettre en contact avec mes sœurs et mon frère.
Elle a dû envoyer une lettre à tous mes homonymes de France pour qu’elle me trouve ici. Mon frère et ma sœur ayant des prénoms plus répandus, c’était statistiquement plus simple avec moi.
C’est drôle, cette famille n’existait plus dans mon esprit depuis des décennies et je n’imaginais pas en entendre parler un jour.