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EN ALAN AR MEURVOR
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20 juin 2008

LES DOIGTS D'EVE (11)

La longue digue de galets, que les courants avaient lentement façonnée, fendait les flots sur près d’une lieue et, comme un grand bras maternel, épargnait à l’île les colères du septentrion. L’océan quant à lui, déposait le long de son rivage, dans chaque crique et chaque anfractuosité, les lapements de douceur du Golf Stream qui préservaient ses hivers des morsures trop aigües du froid. Les bises ancestrales enfin, raclant le fond asséché de la mer des deux Bretagnes au temps des grandes glaces, avaient généreusement déposé sur sa surface, une riche pellicule sédimentaire.

Ainsi dorlotée par la nature, la grande berce du Caucase avait atteint dans la cour close de la maison de Simon des dimensions considérables. Elle faisait presque figure de monstre végétal, mais les passants, à l’apercevoir ainsi, courbée, peinant à supporter son propre poids, étaient pris de tendresse et de compassion. Simon avait relié sa tige énorme à la gouttière d’une ficelle tendue, lui évitant ainsi la chute fatale. Avec tout autant de soin, dès que chacune des énormes ombelles de fleurs avait fané, il la coupait avec empressement, avant que les graines ne viennent à maturité. La difficulté, dans la culture de la grande berce, était de s’efforcer de n’en avoir qu’une. L’invasion guettait toujours, et équivaudrait, pour le jardin, la peste et le choléra. Le plus grand plaisir de Simon, aux beaux jours et lorsqu’il attendait une visite, était de parcourir son jardin en poussant sa brouette remplie d’ustensiles divers, pour un toilettage ultime. Le jardin était bien son seul domaine de maniaquerie. Et de rectifier une taille par ici, de sarcler par là, de réajuster le contour d’une pelouse à la binette ou de supprimer quelques roses fanées. Il craignait toujours le type de visiteurs qui ne verrait que le seul détail qui avait échappé au jardiner, la seule herbe folle laissée à son destin, et ce détail, à lui seul, annihilerait la perfection du reste. Il espérait que Quentin ne fût pas de ceux là. Car le jardin serait sans doute sa première arme de séduction. Il en avait beaucoup parlé à Quentin lors de leurs échanges internautiques, et celui-ci paraissait impatient de le découvrir. Il faut dire qu’il avait de quoi séduire, ce jardin. Outre que Simon excellait dans l’art horticole, la situation même du lopin de terre en aurait fait rêvé plus d’un. D’un côté de la grande maison au chaud granit orangé et sur le pourtour de la cour, de grands arbres ombrageaient un jardin à l’anglaise, où, à cette époque de l’année, les bleus des hortensias et autres hydrangeas rivalisaient de mystère, de l’autre, accessibles seulement en traversant la maison, des terrasses fleuries et architecturées descendaient graduellement jusqu’à une anse profonde que la Manche remplissait ou vidait totalement deux fois par jour. Simon aimaient ces derniers préparatifs, ces dernières mises au point qui meublaient la troublante attente.

Quentin à ce moment débarquait à peine du bateau. Il ne se pressait pas sur le pavé lissé de la ruelle qui montait doucement vers l’intérieur de l’île. Il était comme retenu par une angoisse sourde. Etait-il judicieux de s’y rendre ?

Simon donna un coup d’œil à son portable. L’heure approchait. Il se décida à rentrer ses outils de jardin puis sortit de nouveau de la crèche, s’assit sur un coin de la grande auge en pierre qui recevait le trop plein d’eau du robinet et se roula une cigarette. Tu es un peu tendu, mon garçon, se dit-il à lui-même. Il revoyait tous ses échanges avec Quentin. Il n’avait parlé à personne de cette visite. Il avait craint qu’on se moque de lui. Rencontre Internet, qu’est que cela vaut ? Il ne s’était confié que sur le web, à Eve, il lui avait parlé de leur attirance réciproque, de l’évolution de leur relation virtuelle, et enfin de sa visite programmée. Eve avait réagi à la nouvelle d’une façon très surprenante. Elle craignait que ce ne fût pas une bonne idée. Il était, selon elle, toujours temps d’annuler, il était trop tôt. Simon avait assez mal accepté ce prêchi-prêcha, d’autant qu’elle s’était laissée aller elle-même à rencontrer ce jeune russe ! Il lui avait répondu sans ambages. Ce dernier mail resta lettre morte jusqu’à la veille au soir. Eve lui avait fait parvenir un courriel laconique et non moins sibyllin : Méfie-toi, Quentin est l’un d’entre nous ! Qui étaient ce « nous » ? De quoi fallait-il donc se méfier ?

Les pensées de Simon furent interrompues par le grincement du portail en bois qui donnait sur la rue. Quentin apparut. Simon estima d’emblée qu’il ne ressemblait pas vraiment aux photos qu’il avait vues de lui mais qu’il était une image parfaite de ce qu’il écrivait. Sans avoir même à l’annoncer, ils commencèrent la visite du jardin.

Il faisait nuit. Une nuit calme. A peine entendait-on les faibles lapements de la Manche au fond de la crique. La grande berce senti quelque chose venir, en roulant, lui heurter le pied avec une telle violence que sa tige se rompit. Lentement, comme dans le ralenti d’un film, et malgré la ficelle, elle s’effondra, feuille après feuille, sur le corps ensanglanté de Simon.

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Commentaires
K
Kridirnn> Ca n'est pas une envie, c'est la conséquence logique du combat des monstres
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K
Mais que cache donc cette envie de faire mourir les gens sur le papier ou sur la toile ? Ca m'interpelle...
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C
Mais pourquoi tant de haine ? Qu'ai-je fait de mal ?
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K
Cornus> la suite va êtee terrible pour toi!
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K
Oui je m'en doute un peu...je suis pas si bête que j'en ai l'air, mais voilà, moi, là, c'était Boris...et je suis dépitée !
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