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EN ALAN AR MEURVOR
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16 juin 2008

LES DOIGTS D'EVE (9)

Il s’abîmait dans la contemplation du tilleul, de l’érable, du conifère rampant et du cotonéaster qui à eux seuls concentraient, à ses yeux, toute la nature du monde, la jungle inextricable, les grandes prairies interminables, les jolis jardins anglais.  Il savait que sa femme l’observait et n’oserait pas rompre le silence. Il imaginait la scène comme derrière les yeux d’une tierce personne : sa propre silhouette, ombre chinoise immobile découpée sur le rectangle lumineux de la fenêtre, elle, à peine esquissée sur le pas de la porte, n’osant aller plus avant comme si elle n’était pas chez elle, rabougrie de colère contenue et entre eux deux, ces quelques mètres d’un espace tendu d’incompréhension, dense de paroles avortées. Cette sensation dans son dos lui était brûlante, et le silence envenimait le feu de ces yeux dardés. Alors il lança cette phrase bouée, attrape la si tu peux, fais en ce que tu veux :

- Ca fait deux jours que je n’ai pas vu Minou Manteau dans le jardin.

- Rien de grave, j’ai vu Madame Manteau ce matin, elle le garde à la maison, il a attrapé le coryza.

Il se retourna et dévisagea Jocelyne. Il avait aimé ces petits yeux bleus plissés, austères, inaccessibles et qui soudain, au moindre amusement, à la moindre manifestation de joie, explosaient en mille étoiles aussi fugaces que celle d’un feu d’artifice, avec la force des émotions trop contenues, avec le cristal des rires enfantins. Et puis le masque se réinstallait aussi vite comme la soupape, ayant laissé échapper la vapeur excessive, retombe. Quand avait-il cessé de l’aimer, quand son amour s’était-il mué en considération, en amitié ? Il supposait que le désamour était venu graduellement mais quel fut le jour où l’amour perdit son nom, existait-il seulement ce jour ou n’était-il que conceptuel comme celui où le singe devint homme ? Pourrait-il le lui dire ? Et elle, l’aimait-elle encore ou tenait-elle juste à une illusion d’immuabilité ? Il n’en savait fichtrement rien. Il fut plus mortifié à cette idée d’être incapable de connaître les sentiments profonds de son épouse que du constat de son désamour. Mais tant que le statu quo durerait, il fallait qu’il se montre digne, qu’il assume sa position à ses côtés. Il fallait qu’il se redresse, qu’il bâillonne la chose qui croissait en lui et le coupait petit à petit du monde.

- Le  chat reviendra, mais toi, reviendras-tu de là où tu es ?

- Que veux-tu dire, rétorqua-t-il, lâchement.

- Je vais nous épargner l’énumération de tout ce qui fait que tu n’es plus le même depuis quelque temps et que j’ai l’impression de vivre aux côtés d’un fantôme. Tout peut arriver dans la vie, tu sais, je crois que je peux tout entendre. La seule chose qui me soit insupportable c’est ton silence, c’est un véritable affront.

- Tu as raison, çà n’est pas bien, ce mutisme, mais la vérité est…

- Combien de temps que nous sommes ensembles ? Dix sept, dix huit ans ?  Tu sais, parfois, des choses nous font souffrir, des choses que l’on peut comprendre pourtant. La raison ne peut rien aux peines de cœur. Parfois des êtres passent sur le seuil de notre vie qui nous bouleversent, des êtres qui soudains, sans ouvrir même la bouche, nous questionnent : n’ai-je qu’une vie à vivre, ou plusieurs ? Je ne te promets pas de garder secs mes yeux, je ne te promets pas l’indifférence, mais je te promets la compréhension Clément, est-ce une femme ?

Comment pouvait-elle approcher la vérité à ce point tout en se trompant totalement ? Quelle ironie, quel jeu de mot ! Il décida de continuer à se jouer des mots, à jouer avec les mots, car tout était né d’un jeu n’est-ce pas.

- Non, Jocelyne, çà n’est pas une femme, c’est moi.

Il lui assura être physiquement incapable de lui en dire plus, lui promit que, dès qu’il y verrait plus clair, il tenterait de tout lui expliquer, qu’il n’y avait aucune mauvaise volonté de sa part, juste une incapacité à verbaliser en ce moment.

        Cette confrontation l’avait exténué. Il s’était promis de passer une journée entière sans convoquer Eve. Mais de cet instant de faiblesse Eve profita pour s’imposer. Juste un instant s’entendit-il lui dire, pas de nouveau texte, rien qu’un coup d’œil aux commentaires et aux mails. Il mit juste les bagues aux doigts d’Eve. Un courriel était arrivé, très court, à la lecture duquel il s’effondra totalement.

De admirateurtimide@caramail.com à Eve@hotmail.fr

Objet : Je veille sur toi, mon amour

Ne brûle pas tes plus belles années dans des feux de paille. Il avait tout le temps, tu n’as plus ce temps. Audierne est une jolie ville, mais Boris ne te méritait pas.

Admirateur timide

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Commentaires
K
Kleg> Et je ne sais réellement que penser de ce comm, hi!hi!.
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K
Je ne sais réellement pas commenter cela.<br /> sauf peut-être à "convoquer" moi aussi Elena. Mais elle n'est pas absolument fiable. En tout cas elle m'agace, comme un fruit acide agace les gencives.
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C
Il y a quelque chose qui commence à se clarifier sur la fin, mais il me semble que ce n'est qu'une illusion.
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K
Ce soir je baillais, rien ne venait de bien, j'avais décidé dodo. Je viens lire ici, je n'ai rien à dire (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait rien à dire !) et l'envie me reprend impérieusement, plus dodo. Fou, non ?
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