LE MONSTRE TAPI
A 19h, Vladimir termine le désherbage thermique des allées. Alors qu'il est près du tas de bois de chauffe, à l'arrière de la cabane, il a un geste malheureux. Conscient du fait, il vérifie qu'il n'y a aucune conséquence et s'éloigne, rassuré.
Avant dîner, nous ressortons pour profiter de cette tiède soirée, d'un genre inconnu en bord de mer autrefois et désormais de moins ne moins rare. Nous passons devant la cabane sans être attiré par le moindre signe suspect.
Je me mets ensuite devant la télé pour regarder un film encensé et primé mais que j'abandonne au bout de 30/45 minutes par manque d'intérêt et pressé par des copies à corriger d'urgence. La télé est dans le prolongement de la grande porte fenêtre qui donne sur la cabane. Quand je l'éteins, il fait bien sombre dehors et toujours, je ne vois rien.
Je monte ensuite dans mon bureau, corrige puis surfe sur Internet en attendant la sonnerie du four m'indiquant que le pain est cuit. L'ordinateur alors s'éteint. Une section du compteur a disjoncté. C'est étrange. Je suspecte le four, mais il chauffe toujours, il n'est d'ailleurs pas raccordé à cette section (la cabane, oui, mais je l'ignorais).
Un quart d'heure plus tard, un bruit étrange venant du dehors m'intrigue, je n'arrive pas à l'identifier. Puis un autre. Un coup de vent? Le voisin qui bricole tardivement?
Le dernier bruit qui me parvient est tellement fort et incongru (explosion de l'essence, des pneus du tracteur?) que je me lève, vraiment inquiet, et vais sur le balcon. D'où vient cette épaisse fumée qui passe devant le balcon? Je tourne la tête et vois, en me penchant, la cabane.
La sidération oblitére la mémoire exacte. J'ai dû voir des flammes car l'incendie était alors bien avancé mais ce dont je me souviens c'est des grincements et surtout de voir la cabane comme vivante, bougeant, se déformant en essayant de contenir un monstre trop gros pour elle. C'est là que j'ai hurlé à Vladimir qu'il y avait un problème.
Dans ce cas là, on ne sait plus quel est le numéro des pompiers. Quand on les appelle finalement, ils sont déjà au courant. Le voisin a appelé, qui d'ailleurs tambourine à ce moment à la porte pour nous prévenir.
C'est seulement à ce moment que nous sortons. La cabane est une torche géante, la chaleur intense. La direction du vent a épargné le pin et donc la maison. Mais pendant les 20 minutes d'(éternelle) attente, je me sens à la merci de la moindre fluctuation du vent (d'une rare molesse ce soir là, fort heureusement) qui embraserait le pin sans possibilité d'agir.
L'arrivée des pompiers ressemble à un gag si on avait envie de rire. Une jeune femme, qui semble débutante, à mal mis son "scaphandre" et s'effondre à moitié comme étouffant. Le tuyau ne délivre ensuite qu'un pipi de chat. Enfin, le "chef" lui délivre des conseil comme s'il s'agissait d'une séance de formation. Et puis enfin, les grandes eaux.
Quand je vois les structures bien connues s'effondrer, j'ai les visions de Notre Dame de Paris devant les yeux, je n'arrive pas à m'en défaire. Evidemment, sur un certain périmètre, les plantes sont grillées. Je ne reste pas jusqu'à l'extinction totale. Trop épuisé. Les pompiers partent vers 1h30.
La chaleur a été intense. Je suis stupéfait, le lendemain, de voir le verre des bouteilles fondu, les moteurs des tondeuses en triste état, l'échelle en alu, complètement déformée.
Surtout, je suis traumatisé. Bien plus que par mon accident de voiture (plus dangereux pour moi pourtant). J'ai du mal à aller dans le jardin, si beau en ce moment, comme on hésite à passer la main sur un endroit du corps endolori. Et deux choses m'obsédent: ce feu qui couvait sans que nous l'ayons vu le moindrement, un monstre tapi, sournois qui ne se montre que quand il est devenu invincible. Et la cabane qui se contorsionne, comme dans un miroir déformant, comme prête à exploser.
Mais je suis déjà dans l'après : comment va-t-on reconstruire. Energie vitale que j'ai la chance d'avoir, innée.