SATISFACTION : ELOGE DE LA LONGUEUR NECESSAIRE
La patience, j'en ai ou je n'en ai pas. Au volant, j'en suis terriblement dépourvu. Comme à pied, je n'aime pas être entravé, devoir piétiner. Côté jardin, je me surprends à être celui qui professe l'art d'attendre. La nature m'a éduqué.
Parfois, on se dit que les planètes sont alignées pour que telle ou telle chose arrive. J'entends par là - on sait que je suis peu enclin à l'ésotérisme - que les conditions sont réunies. Et on croit s'être trompé à constater qu'elles ne se produisent pas. Et puis un beau jour, on comprend qu'on a tout bonnement manqué de patience. Ça s'est passé récemment. Je m'étais, il y a peu, plaint en ces colonnes, que malgré la proximité de la mer et l'amoncellement de rochers qui caractérise notre jardin, je n'avais pas la chance d'y rencontrer le lézard vert occidental. Récemment, à plusieurs reprises, j'ai entendu un gros bruit de fuite en m'approchant d'un massif. J'ai pensé mulot et compagnie (et campagnol?) Erreur ! L'autre jour, je l'ai vu, sous les feuilles de l'agave, aussi vert que fugace! J'en suis très fier. J'espère que Bibi ne l'a pas vu, car ce chat est un abattoir sur pattes.
Le roman horticole, je le sais a mis a rude épreuve la patience des lecteurs. Plus de 400 pages, des digressions chute libre dans le passé de l'art des jardins... Mais les témoignages de satisfactions ont été au rares que précieux. Deux beaux articles de presse, quelques témoignages verbaux, dont la femme de l'homme qui prétendait vouloir le réécrire à sa façon, me dit un jour, en cachette de son mari, qu'elle l'a lu deux fois. Plus tard, après un reportage sur un jardin écossais vu sur Arte, elle vient me trouver pour me dire qu'elle y a vu le jardin du livre. Et là, j'était tout bonnement heureux, car ce jardin qu'elle avait vu ressemblait vraiment à celui du livre... donner avec les mots à voir les images de ma tête... ma seule vraie ambition littéraire.
Et puis le mois dernier - je n'y pense plus guère, le livre est sorti il y a si longtemps déjà - je vais à Nantes donner une journée de formation et l'une de mes stagiaires (une enseignante de l'école où je me trouvais) sort un beau livre de son sac (consacré un créateur nantais de "folies" jardinesque), me le tend en disant : "On ne fait pas assez de cadeaux aux écrivains. Voici, pour te remercier d'avoir écrit Mi*en*da**ll !" La patience est à double sens...
Longue est aussi la pièce de théâtre récemment créée. 2 heures, montre en main. Moi, j'étais rassuré, je craignais bien pire. Mais le programmateur, le futur spectateur appréhendent... On me pria même de... rogner. Ce que je fis pour des raisons toutes autres. Au final, j'ai eu beaucoup de témoignages m'assurant que le spectacle n'avait pas semblé trop long. Mais j'eus droit à un éloge inattendu de la longueur. Lors d'une fête à Quimper, où j'attendais pour un plateau télé et après avoir un peu galèré pour connaître les horaires et les modalités... du maquillage, je m'accorde un bière à un stand. Le serveur, à moment de la commande, me fait un immense sourire. Bizarre. Au retour, verre en main, il me dit : j'ai vu votre pièce. (Je ne sais toujours pas comment il a su que j'en étais l'auteur...). Non bretonnant, il a suivi le propos grâce au seul surtitrage. Cela m'intéressait au plus au point car c'était le premier témoignage qui me parvenait sur le sujet. Et était enthousiaste. "C'était long, mais il fallait bien cela pour que les idées rentrent. Ma copine et moi, on a discuté trois jours durant des idées de la pièce."Ouah ! Il était contant le buveur de bière. La longueur, les petits moments d'ennuis même, nécessaires dans une pièce, ai-je récemment entendu dans la bouche d'un metteur en scène de haut vol, pour que le drame prenne plus de puissance, de profondeur... Et puis, faisons nous plaisir, quatre mentions (je les compte, hi!hi!) à mon feu collègue d'outre Manche !
Gortoz pell, gortoz gwell (la longue attente est récompensée) dit le breton, voila que le critique littéraire assez enclin à me casser (mais nous sommes nombreux sur le champ de tir!) fait un billet louangeur sur la dite pièce ! J'ai dû lire deux fois pour chercher le venin ! Point !
Enfin, douze ans c'est long. Et je viens de mettre fin à un long stand-by de 12 ans, et ça n'est pas la moindre des conséquence de la pièce de théâtre ! De la même façon que j'ai arrêté de fumer. Soudaine, comme un déclic accompagné de certitude. Pour les besoins de la pièce, on nous a prêté une petite harpe. (Qui s'avère historique, je le sais depuis peu, car c'est le premier coup d'essai de ce luthier depuis longtemps réputé comme un des meilleurs dans son domaine.) Cette harpe non jouée depuis des décennies, cordée de nylon, n'avait rien à voir avec l'instrument que je pratiquais, à corde de bronze et correspond à un type d'instrument moderne qui n'est pas mon préféré dans le genre harpe celtique. Longtemps même, c'est un comédien qui la gardait chez lui. Las de l'entendre désaccordée pendant les répets, j'ai demandé à la prendre en charge. J'ai cru un moment qu'elle était irrécupérable et puis, ces instruments sont un peu vivants, elle a de nouveau accepté l'accord et aujourd'hui, s'il l'on excepte ces journées de forte chaleur, elle montre une belle constance. Et puis, il y a eu une rencontre improbable. Moi qui n'aime guère le nylon, je me suis surpris à la mettre tous les jours sur mes genoux. Instrument limité certes, mais léger, "portable" ! J'ai commencé à y prendre plaisir, j'ai même enregistré un morceau qui clôt la pièce. J'utilise à 80 % la technique de la harpe irlandaise (ongle, étouffées etc...) le seule que je connaisse et c'est sans doute cela qui fait que le son me plaît plus que je l'aurais imaginé. Le déclic ça n'est pas que ça. J'ai été surpris dèjà de constater que, si mon répertoire - assez conséquent - s'est envolé - je ne lis pas la musique, j'avais toujours mes doigts. Que la dextérité donc revenait assez vite malgré la longue coupure et mon âge. J'ai goûté au plaisir d'une harpe portable et aux écartements de corde moins inhumains que ceux de ma grande harpe Go*as/Sti*vell. Mais surtout, et ça s'est venu progressivement, que je n'avais besoin de personne. Que certes je ne lisais pas la musique, mais que je pouvais m'inspirer de quantités de vidéo sur Internet, que je ferais ce que je pourrais, ce qui me plairait, ma cuisine en somme, que je mélangerais les types d'arrangement si ça me chantait, bref que je pourrais me prendre en charge tout seul. Je me suis enfin (harpistiquement parlant j'entends) senti LIBRE. Ça a pris 12 ans. Je vais peut-être jouer comme un pied mais tant pis. Je le vis vraiment comme un révolution intérieure que je suis seul à voir. J'avais perdu une roue, je l'ai retrouvée. Ça fait comme un sourire en moi à chaque réveil. C'est ma révolution des cinquantièmes rugissants, comme il y en eut une autre précédant les quarantièmes... Je me sens enfin entier. Ni plus ni moins.
Ce soir, j'ai fait un truc énorme. J'ai commandé un harpe historique à caisse creusée, cordes tirées à la main, faite en Irlande, une "reproduction" de celle du dernier harpise à avoir joué sur métal en Irlande à la fin du XVIIIème, De*nis Hem*pson . Un an d'attente... une petite idée de la destination l'été prochain.