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EN ALAN AR MEURVOR
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14 novembre 2014

LA CLOCHE MAUDITE 10

m1

  • Vous voyez ces pans de murs éventrés, ces fenêtres sans vitres, juste bonnes à contraindre le soleil, à emprisonner la lune ? Qui dirait aujourd’hui que se dressait là un fier château qu'entourait une opulente forêt cernée d'un mur de deux lieues de circonférence ? Qu'on y voyait des salles somptueusement aménagées, l'une toute dorée pour égaler le soleil, l'autre toute argentée pour y inviter la lune ? C'est comme cela que vous auriez vu Brezel-Grenouille pourtant au XVIIème siècle, du temps du marquis roux. Mais à l'évocation de ce nom ça n'est pas à ses splendeurs qu'on pensait à l’époque, oh non, on se signait plutôt, on tremblait ou l'on changeait de conversation. Car le marquis était un sanguinaire. On ne comptait plus ses méfaits divers, aucune catégorie de la population, jeunes, vieux, riches, manants, hommes d'église, n'était à l'abri du marquis lors de ses sorties imprévisibles. Mais il en était une, qui plus que toute autre était menacée... les jeunes filles.

  • Mais bien sûr, dit Torzh, voilà ce qui m'était revenu dans la fromulomobile, la complainte du marquis roux, gwerz ar markiz brun !

  • Oui, dit Sidonie, que l'on chante de génération en génération. L'aristocrate était un violeur invétéré. A l'époque il pouvait commettre ses méfaits presque en toute impunité. D'ailleurs, l'aïeule d' Honorine est tombée enceinte comme ça. Ça ne se pouvait autrement, elle était comme nous, elle n'aimait que les femmes. Combien de paysannes sans recours ont-elles été dans cette situation ? Une seule personne pourtant s'en émouvait réellement, c'était la vieille mère du marquis. Mais que pouvait faire la pauvre femme à part prier dans la chapelle du château, pour l'âme de son fils, pour ses pauvres victimes ? C'est sans doute lors d'un de ces actes de foi qu'elle en eut l'idée... de la cloche. Dès lors, elle prit l'habitude de sonner la cloche à toute volée dès que le marquis sortait en vadrouille. Gare à celles qui ne l'entendaient et restaient imprudemment à traîner sur les routes et aux lavoirs...

  • Mais alors, l'interrompit Jehan-Marc'hkar, pourquoi avoir fait fondre cette cloche salutaire ?

  • Attendez, attendez Jehan, poursuivit le comte... il y a trois siècle de décalage ! Je n'y comprends plus rien.

  • Vous avez raison, monsieur le comte... Écoutez plutôt. Le marquis a fini par être arrêté, oh non pas pour un simple viol, mais pour le meurtre d'un prêtre dans d'étranges circonstances et condamné aux galères. Il aurait alors fait vœu de se racheter à son retour, de construire un hospice et d'aider les pauvres mais il mourut de dysenterie avant que son vœu ait pu s'exaucer. Pendant ses années de galériens, le pays connut un répit bien mérité. La crainte continuelle vous fait oublier la douceur de gestes simples dans l'insouciance... Et puis, dès que la nouvelle de sa mort parvint, la cloche recommença à tinter.

  • Sa mère avait donc...

  • … sa mère était morte depuis des années, de chagrin, lorsqu'elle avait appris le crime de son fils. Non, la cloche tintait sans intervention humaine! Mais à bon escient, hélas. Car des viols ne tardèrent pas à être commis de nouveau. Au début, même si entendre la cloche faisait froid dans le dos à tous ceux, et surtout toutes celles, encore nombreuses, qui avaient connu l'époque noire du marquis, on ne s'en méfiait pas plus que ça. D'autant que la nouvelle tarda à se répandre que des filles étaient de nouveau violentées. Celles qui avaient osé l'évoquer n'avaient pas été crues. N'accusaient-elles pas un marquis fantôme pour dissimuler une liaison coupable et consentie qu'elles auraient eues hors mariage ? Et puis il y eut toutes ces naissances suspectes. L'adultère, les amours bucoliques, ne suffisaient plus à expliquer une telle recrudescence. Et il y eut cette concordance troublante entre les dates de conception et les périodes où l'on entendait la cloche. Il fallut bien admettre la réalité du phénomène. La fille de l'aïeule d'Honorine subit ce sort, ainsi que sa propre fille, jusqu'à nous jours. Toutes lesbiennes, toutes mères !

  • Et filles du marquis !, s'étonna Pornus.

  • Sans doute. Honorine a toujours été dotée d'un caractère hors du commun. Nous nous étions connues très tôt, au lycée. Ces amours précoces l'ont sans doute aidée dans sa détermination. Il n'était pas question qu'elle subisse ce sort ! On a cherché comment on pouvait contrer cette malédiction. On a pensé à la cloche... Elle existait toujours. Nous l'avons décrochée, avec bien du mal, et l'avons fait fondre. Et nous avons réussi ! Pas un seul viol en plus de cinquante ans et Honorine fut la première de la lignée à ne pas avoir eu d'enfant depuis le XVIIème ! Mais voilà que ça recommence...

  • Mon Dieu la marquise, s'exclama Pornus, que l'enjeu du problème venait d'effleurer.

  • Ça recommence, certes, mais ça n'est plus la même cloche... dit Jehan-Marc'hkar d'un air profond.

 

(à suivre)

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Commentaires
K
Cornus> Je n'ai rien inventé ou si peu...<br /> <br /> lume> Eh bien on continuant à fouiller dans cette thèse tu serais forcément - j'imagine - tombée sur cette histoire assez célèbre, d'ailleurs j'avais semé des indices depuis longtemps...
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P
Vraiment curieux, avant même d'ouïr cette histoire de viols à répétition j'avais voici quelques jours commencé à chercher dans la thèse d'Eva Guillorel des versions approchantes de Mari Flourio, dans l'idée d'écrire un "truc plus ou moins long", tu vois ce que je veux dire, hihihi, inspiré de son histoire et du seigneur de Gwerliskin. Vais-je oser maintenant ? ;) Enfin en tout cas ça n'était pas prévu dans un registre à se tordre de rire.
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C
Diantre, moi qui me demandais comment ces femmes avaient pu enfanter.<br /> <br /> Sinon, ton baron roux me fait penser au "baron rouge", Manfred von Richthofen, ce pilote émérite de la Première Guerre mondiale.
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