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LA CLOCHE MAUDITE 6
Le lendemain matin, à peine Poltron Minet était-il apparu, juché timidement sur un muret en pierres sèches, que la marquise était déjà en grande conversation avec Sidonie. Il s’agissait de régler les détails du dernier repas. Sidonie avait – de mémoire de femme - toujours été la femme-à-tout-faire d’Honorine. Elle n’était pas loin d’être aussi délabrée que sa patronne, bien qu’il eût plutôt fallu dire sa maîtresse, car en des temps fort éloignés de celui qui nous occupe, les deux femmes devaient très certainement partager la même couche, qui ne fut pas témoin que de leur sommeil. Malgré son corps étique et voûté, son visage raviné, ses yeux si creux que soutenir son regard donnait l’impression de s’abîmer dans un puits d’eau glacée, rien ne semblait pouvoir arrêter Sidonie. Koada de Fromulus la regardait avec sidération déballer devant elle toute la batterie de cuisine dont elle disposait, y compris les plus imposantes marmites de fonte qu’elle hissait à hauteur de regard avec une facilité déconcertante, alors qu’elle aurait pu tenir toute entière recroquevillée dans les plus grandes d’entre elles.
Machinalement, tout en baillant à se décrocher la mâchoire, la Marquise jeta un œil à sa montre.
- Mais, dites-moi, Sidonie, quelle heure avez-vous ?
- Six heures trente, Madame.
- Comme moi. Et il fait jour ! Cela ne se peut !
- Vous voudrez bien m’en excusez, madame la Marquise, mais au vu de tout le travail qui nous attendait aujourd’hui, j’ai réveillé Poltron Minet plus tôt que de coutume. Il suffit de secouer le paquet de croquettes, vous savez…
Le comte qui avait compris qu’il ne pourrait abréger leur séjour et boudait dans un coin, sortit de son mutisme :
- Quelles sont ces excentricités ésotériques ! Ah, franchement j’aurais préféré assister à cette fête campanaire au château de Villechat les Biscotto. Les chats sont normaux au moins là bas.
Mais ses cheveux se dressèrent d’un coup sur sa tête.
- Mais voyons, mon Pornuset adoré, réponds quand-même !
- Réponds à quoi ?
- M’enfin, regarde-toi dans le miroir. Tes cheveux !
Il se regarda et comprit.
- Flûte, je n’avais rien senti. Oh, cette Torzh avec ses transmissions de pensée, elle est empoisonnante, elle ne peut pas utiliser le portable comme tout le monde. Allo ?
La voix de Pornus se fit de miel, comme sous l'effet d’un enchantement.
- …Mais bien sûr, ma chère Torzh… tout de suite ma chère Torzh…. Ah, oui, l’endroit me paraît tout à fait adéquat… J’en suis tout à fait émoustillé par avance…Quoi ? … La marquise ?... Non, elle ne pourra se joindre à nous, elle a un repas préfunéraire à préparer, un truc d’enfer.
C'eût été un portable que la marquise eût tôt fait de l'arracher des mains de son homme dans un accès de jalousie incontrôlé et de demander des comptes à la douairière, mais avec la liaison télépathique, rien à faire! Elle utilisa alors son arme fatale:
- Aïïïïeeee, ma cheville, ououh j'ai mal.
Elle se laissa choir. Mais, comme la réaction du comte se faisait attendre, elle ajouta:
- Aïïïïeee, je vais pousser mon contre-ut!
Alors que Sidonie faisait mine de sortir sa boîte de boules quies en soupirant, le comte consentit à s'occuper de son épouse.
- Allons, ma douce, point d'esclandre et prenez donc votre médication.
La demie tablette de chocolat Côtes du Nord aux noisettes entières dissipa très vite les états d'âme de la diva.
- Tu ne vas pas te mettre dans tous tes états sous prétexte que je vais faire une tournée champignons avec Torzh dans le bois du Sanctuaire?
- Ah, ce n'est que ça!
- Tu sais bien qu'elle ne boude pas mes conseils de naturaliste et d'ailleurs, si je reste ici, je risque d'être désagréable. Je te laisse à ton art et ce soir, je serai tout entier dans l'appréciation de tes talents.
Il laissa une marquise rassérénée, mais le vrombissement de la Fromulomobile, alors qu'il s'éloignait dans l'allée de l'ancien château, l'empêcha d'entendre le son d'une petite cloche emplir l'atmosphère.
Une heure et demie plus tard la Fromulo arrivait en vue des frondaisons du bois du Sanctuaire. Quelque part, à l'orée de la forêt, des fumerolles pourpres indiquait la présence de son amie. Il ne tarda pas à l'appercevoir, encapée, près de son carrosse. Mais il réprima un haut-le-coeur. Torzh avait changé de véhicule et celui-ci était... beige! C'était indigne de la douairière. Devinant sa moue, elle déclara au comte qui lui faisait du baise main :
- C'est la crise pour tout le monde. Mon précédent carosse consommait beaucoup trop de poudre de Perlimpinpin. Celui-ci est beaucoup plus économe, c'est un hybride, mais il est d'occasion. Je n'ai pas choisi la couleur, ajouta-t-elle sèchement.
La promenade fut des plus agréables. Outre les champignons à gogo, Torzh se fit un plaisir de montrer à Pornus ses vieilles souches favorites. Ils firent quantité de selfies "Torzh et Pornus devant la vieille souche" pour Fesse Bouc. Quand les plaisirs bucoliques s'épuisèrent, ils poussèrent jusqu'à Tirninis s'enfiler une bière au bar de la Lennvor, chez Marie-Line, qui grâce aux potions torzhiennes tenait vaillamment son affaire à plus de 120 ans. Le comte raconta dans quelle galère familiale il se trouvait.
- Ainsi la vieille tante occupe les anciens communs du château de... repètez-moi ce nom?
- Brezel-Grenouille...
- ....Hum, hum... la cloche..., le vit... le vit... Mon Dieu, ça me revient, la marquise est en danger. Allons-y, vite.
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