EN ALAN AR MEURVOR HABASK 15
Nous progressons dans la forêt, en sa partie la plus sombre et la plus verte. Vladimir me précède, je suis à la traîne, j’ai dû quitter le sentier pour photographier quelque racine, ou quelque fût vertigineux. Mon attention est encore attirée de droite ou de gauche par quelque trait saillant. C’est alors seulement que je regarde de nouveau devant moi pour poursuivre mon avancée. C’est à ce moment que je le perçois. Avant même d’en distinguer précisément la silhouette, de jauger son espace d’encombrement, je perçois sa sombre masse, je ressens la puissante obstruction qu’il oppose à ma vue dans l’entrelacs des verdeurs. Il est comme la falaise splendide d’une haute façade gothique qui vous bondit au visage au détour d’une rue étroite et dont l’élan vous fouette le visage d’un courant d’air imaginaire. L’émoi en effet est le même, mais l’atmosphère est tout autre. On dirait plutôt dans le confinement des lianes entremêlées, l’énorme pilier central d’une crypte géante qui soutiendrait tout un monde, ou encore un palais végétal trop grand pour être envisagé d’un seul tenant, qui grouillerait d’une vie secrète et innombrable.
Je suis muet et grandi à la fois comme devant un monument. C’est le plus grand arbre qu’il me soit donné de voir, un « ceibo » de soixante mètres de hauteur avec une base gigantesque dans les replis de laquelle un homme paraît minuscule. Tous les autres arbres de la forêt paraissent frêle en comparaison. Je pense en étant à son pied à toutes les représentations enfantines de forêts merveilleuses et d’arbres géants où niches des êtres tout aussi fantastiques qui me semblaient irréelles. J’ai l’impression qu’une de ces images est devenue réalité.
Des images, en voici, forcément. Mais elles sont loin, même revues longtemps après, de restituer la majesté du roi de la forêt.