LA FEMME EN ROUGE
Un instant restera. Un instant qui s’est répété inlassablement tous les soirs avec la fidélité d’un carillon d’horloge : la rencontre fugitive d’un état d’esprit, d’une image, d’une couleur, d’un scénario, d’une sensation sur ma peau.
Il est 21h57. Comme tous les soirs vers cette heure là, après que les menus préparatifs préliminaires ont fait long feu, je ne peux plus rien faire d’autre qu’attendre que la salle se libère. Alors je me laisse aller à mon petit rituel. Malgré le léger vertige que ceci me cause, j’allonge une de mes jambes sur le parapet du balcon, et m’ adosse à un des piliers qui le scandent. Immanquablement, chaque soir, un froid mistral s’engouffre dans mes vêtements légers. C’est grisant. Les grands platanes bruissent de toutes leurs feuilles un peu gauches. Je regarde le ballet des techniciens dans la cour, en contrebas.
J’entends alors une porte s’ébranler. C’est l’instant attendu et fugace. J’ai juste le temps de voir la jeune femme vêtue d’une robe rouge au style suranné sortir en hâte, se débarrasser d’une veste noire et d’un pas de course sautillant et élégant mener sa silhouette à la Edward Hopper le long du corridor-balcon crument éclairé jusqu’à une autre porte où elle disparait. Cela n’a duré que quelque secondes, elle n’en disposait de pas plus car au même instant retentissent les applaudissements. Elle doit aller saluer.
La sortie de la femme en rouge est mon signal. Il ne se passera guère de temps que le public ne quitte la salle. Alors je ramène ma jambe à moi, quitte mon parapet pour porter le décor dans la salle. J’ai trois quarts d’heure pour installer ce qui m’incombe, régler mes projos, mettre les gélatines et autre tâches dont j’ignorais l’existence il y a peu.
Comme chantait Servat, je dors en Bretagne ce soir.