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EN ALAN AR MEURVOR
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3 avril 2009

PEDAGOGIE : COMMENT FAIRE REGNER LE SILENCE DANS UNE CLASSE?

LNCelui que j’aurais tendance à nommer « mon groupe principal » n’est pas, loin s’en faut, la classe avec laquelle je passe le plus de temps. Depuis que notre centre de formation s’est aligné plus ou moins sur le mode de fonctionnement de l’IUF*M, la préparation au concours de professeur des écoles a grignoté sensiblement le temps alloué à  formation au métier et au perfectionnement linguistique, ce dernier domaine m’incombant. Je leur fais face sept semaines en tout et pour tout, la huitième étant consacrée au théâtre et confiée à un homme de l’art. Certains se souviennent qu’il y a trois ans, l’homme de l’art avait été, exceptionnellement, Vladimir, pour monter une pièce écrite par Karagar. Notre premier bébé, en somme. Je ne désespère pas d’avoir d’autres enfants.

Je dois dire que cette année-là marqua aussi la fin (provisoire ?) de quelque chose. Depuis lors, mes relations avec ce groupe, d’année en année, ont pris un tour qui, malgré mes vingt années de métier, m’était inconnu.  Je me sens désormais professeur. Au sens où, même dans le contexte d’une bonne entente avec la classe, les relations ne dépassent pas le seuil de la salle, ni celui des considérations linguistiques. Ils savent peu de moi, je sais peu d’eux. La période où je pouvais prendre un pot avec certains d’entre eux me semble bien lointaine. Ça n’est pas une catastrophe mais je m’interroge sur la raison de ce changement. Est-ce moi qui suis moins disponible – on encourage ou décourage des initiatives inconsciemment, bien souvent -, est-ce eux qui ne conçoivent pas ce type de relation ? Suis-je devenu un vieux chnoc ?

Pour autant, la part affective ne disparaît pas comme moteur de transmission du savoir. Là aussi, j’ai des questionnements. Je subodore que je mets une charge affective trop forte dans mon métier. Probablement, je ne sais pas faire autrement. Depuis que je me suis incarné, depuis que je ne suis plus « un pur esprit parlant », comme m’avait décrit un très ancien élève retrouvé un jour sur un site de rencontre, je perçois parfois, par bouffée, toutes les implications – passionnant - de ma position, devant le tableau.

Cette année, le groupe en question, est incroyable. Sa constitution est pourtant assez semblable à celle des années précédentes : une majorité de nouvellement licenciés, quelques personnes en « reconversion », une personne nettement plus âgée que les autres. Une majorité de filles, bien-sûr, bien que les garçons, au nombre de cinq, soient plutôt bien représentés cette fois-ci. Concernant la langue, une part a eu toute sa scolarité en breton, le plus grand nombre a appris (trop) récemment la langue en formation intensive, il y a quelques parcours singuliers aussi. Mais ce sont des agités, comme jamais je n’en ai connus. Ils sont tellement bruyants que leurs pauses, leurs repas sont une nuisance pour les classes voisines. En classe, ils sont épuisants. Ils ont une incapacité folle à s’écouter l’un l’autre, à parler à voix basse. Il y a de surcroît, un petit groupe de jeunes nanas perpétuellement surexcitées sexuellement. Je gère ! Volontairement, j’en ai fait cette description infernale car le paradoxe est que, dans cette ambiance où il semblerait difficile de travailler et bien que je doive constamment ramener le calme, tout ce que j’ai pu leur proposer depuis le début de l’année a fonctionné à 100% ! Je n’ai jamais vu un groupe entrer dans le jeu aussi facilement, quelque soit le sujet abordé où les méthodes d’enseignement utilisées. A tel point que Karagar reste zen.

Je dois dire que j’avais pris une décision forte en début d’année, que j’avais fait un gros travail sur moi-même dans ce groupe. J’ai essayé dès le début de contrôler ce « je ne sais quoi » d’involontaire dans ma posture qui en terrorise certains. J’étais las de faire peur. Et en toute immodestie, je crois n’avoir pas mal réussi.

Au vu de la taille du groupe, mais aussi de son comportement, j’ai un peu limité cette année, les cours apparentés au total physic response ou suggestopedia. Mais hier, j’ai sorti le grand jeu de la mémorisation par (entre autres) les gestes et j’avais l’impression de devoir contrôler l’emballement d’une centrale nucléaire ! Le summum étant l’une des nanas surexcitées sexuellement faisant mine d’enc… une autre (celle qu’elle tatouille à longueur de cours, entre nous soit dit). J’ai failli lui dire : j’te prête un gode si tu veux… mais Karagar sait se tenir. Quand je pense qu’on dit que les mecs sont terribles dans ce domaine !

Mais le matin, j’avais eu silence total, on entendait les mouches voler ! Non, ce ne fut pas le second volet sur les subordonnées relatives, malgré le vif intérêt qu’il suscita, qui calma le brouhaha ambiant. C’est une question qui me fut posée. La dernière phrase de l’exercice incluait le titre du dernier roman de R*oparz Hemo*n, le « père » de la langue et littérature bretonnes modernes, autant dire un monument dont les élèves ne perçoivent l’importance que par des ouï-dire et la fréquence de son nom au frontispice des dictionnaires. La plupart ne connaissant pas – je n’y avais pas songé – le nom du roman et j’eus droit à la question : c’est quoi ? Devant un semblant de curiosité qui s’affiche, et toujours enclin à stimuler l’envie de lire, je dis quelques mots du livre en question. Et puis les choses vont très vite, bien que je fusse vierge de toute arrière-pensée. Il est vrai qu’ils sont jeunes, que le nom de R*oparz Hemo*n est lié à de vieilles polémiques orchestrées et dérangeantes sur son attitude pendant la dernière guerre, dont ils n’ont entendu que des bribes. Un besoin d’éclaircissement se fait sentir. J’aurai d’ailleurs l’occasion de donner mon point de vue pondéré. Mais la question qui fit régner le silence (enfin surtout ma réponse…) fut la suivante : Pourquoi est-il resté en exil jusqu’à sa mort ? En effet, pourquoi un homme n’ayant travaillé de toute sa vie pour la langue bretonne, n’avait pas regagné sa terre dès que la justice le lui permettait ? Je ne m’attendais pas à une question si pointue autant qu’eux-mêmes ne s’attendaient pas à ma réponse (encore non historiquement officielle).

J’ai à peine le temps de dire « eh bien… », que ma questionneuse lit dans mes pensées : « Une histoire d’amour, je suppose… » « Oui, c’est ça. Il ne voulait pas quitter son secrétaire qui, lui, était condamné à l’exil à vie. » « SA secrétaire ? » « Non, non, SON secrétaire. » Du coup, je parle un peu de la chose, pointe du doigt que l’homosexualité du « grand » homme était plus taboue que ses prétendus penchants pour l’occupant allemand, que ça en dit long, que les choses ont bien changé, que moi-même lors de la sortie de P*ar Diba*r etc.… Les yeux sont écarquillés, les gestes de visages sont d’assentiment. Mes propos était certes à coup sûr une révélation sur H*emon, mais sur moi-même ?

Entendre les mouches voler dans cette classe… vraiment, une première !

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Commentaires
A
Ha penaos 'vez lâret outing e bzg ???<br /> Tiens, rien à voir : j'ai une 'tite question pour toi sur mon blog, quand tu as un moment pouplaît !
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C
Oui, l'âge d'or, j'aurais bien tendance à y glisser parfois, mais je ne cesse de rectifier le tir car j'en suis conscient, d'autant que je sais combien il n'en est rien. En revanche, je confirme que des choses évoluent, mais pas forcément dans le mauvais sens.
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K
Cornus> Oula, quel commentaire fleuve, mais qui s'en plaindrait?!<br /> Cela dit, je comprends très bien tes remarques et j'ai vécu celà parfois mais ne confondons pas tout :<br /> d'abord, je ne pense pas qu'il faille sombrer dans le myrhe de l'âage d'or. Il n'y a pas d'évolution, il y a de bonnes promos et d'autres, et pour les mauvaises, la responsabilité en incombe à ceux qui ont recruté.<br /> Deuzio : précisément, cet année, l'intérêt et les questions pertinante sont là! Comme quoi l'association mauvaise élève/élève dissipé est à revoir.<br /> Tertio : je me sens prof, voulait dire, plus un copain potentiel, cela n'entame pas ma faculté à essayer à tout prix de communiquer quelque chose. Si j'ai évoqué une forme de lassitude, j'en suis (et mes temps de service) le seul responsable.<br /> 4 : non non pas cloué le bec, mais c'était ma première envolée non linguistique, au fond je patlais de l'histoire moderne de la langue, de ce que les écrivains d'auj étaient pour certains, et je m'en sens, les héritiers du personnage évoqué. Qu'il y ai eu un chapitre sur l'homosexualité, que je ne l'aie pas vu venir, et que j'aie vu un forte adhésion dans les regards, a rendu la chose plus savoureuse encore...
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C
Ah, on se pose la question si on est un vieux chnoc (question que je me pose aussi régulièrement, notamment lorque l'on croise plus ou moins régulièrement au travail des personnes plus jeunes, notamment des stagiaires). Peut-être devenons-nous un peu vieux chnocs, mais je pense aussi qu'il semble y avoir de plus en plus de jeunes qui ne sont pas à leur place, qui viennent non pas dans des formations par intérêt ou passion (ce qu'on aurait pu penser vu la spécialité côté enseignement/breton ou botanique/écologie), mais presque par égarement. Je me rends compte aussi que curieusement côté informatique, ils ne sont pas forcément dans le coup...<br /> Le top en tant qu'enseignant ayant à passer plusieurs jours avec un groupe, c'est de constater, malgré une certaine hétérogénéité des parcours, une réelle entente du groupe, un intérêt des uns pour les autres, une écoute permanente, des questions pertinentes à l'enseignant. Bref, l'impression de faire avancer les choses. J'ai connu de telles promotions deux fois. La première fois à mes débuts en 1995-96, alors que je me sentais moi-même assez mal à l'aise et pas forcément légitime. Ils étaient presque tous plus âgés que moi, mais il m'ont intégré parmi eux, je pourrais même dire qu'ils m'ont un peu porté. Il y eut des pots, des restos, des visites de caves... Bref, de bons souvenirs, d'autant que je vivais presque parmi eux (j'habitais sur place et ils étaient nombreux à faire de même). Puis il y eut des promotions moins soudées, moins intéressantes, plus jeunes, plus paumées, avec cependant des personnalités intéressantes en formation continue. Quelques temps après, j'ai commencé à prendre en charge des bac + 5 en formation initiale, et ce fut assez décevant (trop scolaire, pas/peu de participation). Que faire quand personne n'ose répondre à des questions, même basiques, quand personne ne comprend les allusions ou les clins d'oeil humoristiques ou les dérisions de l'enseignant, quand personne ne semble comprendre ce qu'on est en train de raconter ? Eh bien comme tu le dis (je crois que c'est un peu ça que tu veux dire), l'enseignant se comporte en professeur, c'est-à-dire qu'il déroule son cours sans émotion, sans implication particulière. Il n'a qu'une envie ou presque : en finir.<br /> Ma dernière intervention en formation continue (dernière année) eut lieu en avril 2004. Alors que je ne les ai côtoyé qu'une petite semaine, j'avais été très agréablement surpris par leur degré de participation exceptionnel. Ce sont des moments où on a vraiment envie d'en donner plus. La dernière journée, entièrement passée dans un circuit sur le terrain avait été exceptionnelle. En général cette journée se terminait avec une certaine fatigue d'avoir entendu des binômes latins à tour de bras, des explications phyto*socio*logiques, écologique ou paysagère. Et cette fois-ci alors que l'heure de la fin de la journée officielle était terminée, je proposais soit de rentrer, soit d'aller voir une dernière chose. Et là, le groupe de me répondre de concert, instant de grâce inespéré : "Mais Monsieur, nous continuons. Nous voulons profiter au maximum de vos enseignements et de la chance de vous avoir ici sur le terrain". Depuis, je ne suis jamais plus intervenu que sur des demi-journées en cours magistral : rarement passionnant, mais jamais de discussions parasites en salle.<br /> Quant au sujet conclusif, on dirait que tu leur à cloué le bec : ça risque de bouillir un peu dans leur ciboulot d'ici le prochain cours.
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