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EN ALAN AR MEURVOR
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23 novembre 2008

KARAGAR PAPA

Un jour, quelqu’un dont l’idée même qu’il puisse avoir un comportement quelque peu infantile ne m’avait jamais traversé l’esprit, me dit, dans un contexte qui ne m’était pas anodin : Il est temps que je devienne adulte.

            

            Depuis, je me prends à soupeser ce mot de manière non pas lancinante ni obsessionnelle mais assez régulière, alors qu’il ne faisait pas partie de mon vocabulaire auparavant. Il s’agissait bien-sûr de lui trouver un sens symbolique, le seul qui compte dans la définition de ces catégories en perpétuelle évolution et dont la circonscription n’est pas moins arbitraire que ces dates dont on borne les grandes périodes de l’histoire humaine.

            Une fois, je me suis entendu reprocher par une étudiante en furie, lors d’un examen oral, de l’avoir traitée comme une enfant. La véhémence de l’échange ne laissait guère le temps à l’introspection, mais je me souviens avoir eu le temps de m’interroger brièvement sur le sens de la remarque et de m’être dit qu’elle me laissait plutôt démuni, un peu à la façon de ces invectives catégorielles à l’encontre des hommes ou des femmes.

            Un coup de fil de Vladimir me prévient qu’Augustine viendra jouer dans le Cap. La Dalmatia bleue attend donc Augustine et sa collègue comédienne à la sortie de l’hôtel de K. à Baie-La-Ville et les emmène dans un circuit des trois faces : face nord, face ouest et face sud où la journée finissante s’alanguit sur le sable de Saint Tugen dans une lumière de fin glorieuse. Sur l’horizon, déjà, le phare de Sein prend le relai de l’astre solaire. Les deux parisiennes prennent des claques d’embruns et de lumière et n’en croient pas leurs yeux.

            Le soir, c’est la pièce. Un débat-théâtre. Je ne connaissais pas la formule. Une courte pièce est jouée. A l’issue s’instaure une petite discussion avec le public, puis la pièce est rejouée et les spectateurs interviennent à tout moment pour modifier le « scénario ». Celui qui suggère une modification doit alors prendre la place du comédien. Le thème en est les relations parents/ado. Le public forme un petit comité et tous sont des parents très concernés par le thème du débat. Je me sens, moi qui suis là par copinage, un peu comme un OVNI. J’interviens assez vite pourtant dans la discussion pour suggérer un autre modèle de communication, mais comme je ne suis pas celui qui a dit « Stop » le premier, mes suggestions ainsi que celles d’autres personnes sont synthétisées et jouées par un homme qui avait pris la parole le premier. Les gens qui montent sur scène ne font en réalité que transposer leurs propres expériences. Plus tard, ils rejouent la scène de la « sortie ». L’ado part en riboul et négocie avec ses parents l’heure de rentrée à la maison. Je dis alors « Stop » car cette scène s’ouvre ainsi : les parents sont assis et discutent entre eux, à l’arrière on voit l’ado qui parlemente avec sa petite copine restée sur le pas de la porte. On devine que jamais elle ne passe le seuil.  Je dis qu’il faudrait peut-être inviter la copine à entrer. On me prie donc de monter sur scène. Me voilà papa ! Même si certains prétendent que ça n’existe pas, voici pour moi un vrai rôle de composition ! A quoi me référer en effet ? Pas à ma vie d’adulte bien-sûr. Mais pas même à ma vie d’ado puisque je n’ai aucun souvenir de mon père se comportant comme tel à mon égard ni de moi se comportant comme un ado à l’égard de mes parents. Toutes les situations évoquées, je ne les connais que par ouï-dire. Je ne suis jamais allé en teuf, ni n’ai bu, ni fumé, ni eu de copines, ni regagné la maison plus tard que l’heure de fin des cours, ni demandé d’argent de poche, ni montré le moindre signe de rébellion. Je voulais juste visiter des cathédrales et même ça je n’osais le revendiquer.

            Problème : il n’y a pas de comédienne pour jouer Alice, la copine. Mais l’équipe est habituée à devoir improviser des solutions au gré des suggestions du public. Alors que je monte sur scène, Augustine disparaît et en un temps éclair réapparait de l’autre côté, relookée. Elle est Alice ! Clap, on tourne. Je la joue donc père très cool et branché (le perfecto que je porte aidant), qui finit par s’inviter à la teuf, au grand dam de son fils mais pour le plus grand plaisir d’Alice qui semble trouver le papa très à son goût, lui-même assez entreprenant (composition vous disais-je !). Ca rigole bien dans la salle (et dans ma tête aussi car je sais que je vais dire à Vladimir que je me suis fait une petite scène avec une de ses comparses tchékhovienne !) mais je ne pense pas avoir beaucoup fait avancer la science de l’éducation.

            A l’issue du spectacle, certains parents discutent entre eux et font part de leurs expériences avec leurs enfants. Je suis intégré à la conversation par les regards qui me prennent à témoin. En effet, ayant été de ceux qui avaient pris part à la chose, on m’imagine concerné. La situation me semble surréaliste. Pas mal de choses me traversent l’esprit. Il me faut vraiment longtemps pour réaliser que pour ces gens, je suis forcément de leur côté, que j’ai l’âge d’avoir des enfants lycéens alors que j’ai suivi tout le spectacle en regardant les parents du point de vue de l’ado. J’ai cru jouer le père « copain » par esprit de la rigolade mais en fait, étais-je capable de faire autrement ? J’ai soudain pris conscience que j’écoutais tous ces gens parler de leurs problèmes d’adultes qui ne me concernaient nullement. J’acquiesçais poliment, je formulais des remarques même, mais c’est à ce moment là que je jouais la comédie.

            Hier soir, croyant m’amuser gratuitement, je me suis vu un peu mieux, grâce au théâtre. Tant que je n’aurai pas d’enfant et tant que je n’aurai pas « eu » mon adolescence, je ne pourrai pas devenir adulte. Autant dire que me voici condamné à l’enfance.

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Commentaires
K
Je crois que "mon enfant", comme dit vladimir, n'est jamais bien loin ! C'est l'une des raisons pour laquelle j'ai tant de plaisir à travailler avec des enfants. Je joue aussi avec eux, d'une certaine manière, et c'est si naturel que le plaisir est réciproque ! Tout au moins, c'est ce que je perçois.
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K
Cornus> C'est drôle car tout à l'heure, à la piscine, je regardais un père, d'abord pour sa plastique, puis ensuite j'ai observé la façon dont il jouait avec ses petites filles et j'ai pensé à ce que je viens de te dire !<br /> Curieux> J'ai déjà pris un bain de minuit à poil avec Augustine, hi!hi!
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K
Cornus> Merci pour cette salve de commentaires. Je l'ai déjà dit, mais tant pis, c'est vraiment très gratifiant de susciter des réactions, de donner du "boued" et d'en recevoir en retour. Pour la première partie, en écrivant la phrase citée, je me suis dit "tiens, Cornus va cosigner !"<br /> Sinon, ne pas avoir eu d'adolescence marquée, d'adolescence "cassure" est peut-être à l'origine de cette difficulté de positionnement que nous évoquons.<br /> Sinon, je suis touché en retour aussi que tu évoques l'épisode du mariage. C'est drôle, mais moi qui n'ai jamais eu de désir d'enfant et qui ne m'imagine pas dans le rôle de père, moi qui peux parfois ne pas "voir" les enfants dans une soirée, ne retiens pas leur prénoms etc..., quand ça me prends, je peux jouer comme un gamin avec eux, avec une facilité terrible car je ne me force pas pour leur faire plaisir et la sauce prend toujours.
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C
Enfin, le concept théâtral auquel tu as assisté me plaît assez. Qui sait si moi aussi, je ne me laisserais pas tenter ?<br /> <br /> Bon, je m'arrête là, je ne pensais pas être aussi bavard.
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C
Autrement, même si cela n'a pas un rapport direct (encore que), une chose m'avait émue (Fromfrom aussi) le jour de notre mariage (le deuxième) : on t'avait vu jouer, certes pas longtemps, avec les gamins qui se trouvaient là-bas. Personnellement, je crois que c'est une chose qui ne m'ai pas aisée mais je pense néanmoins qu'il faut savoir parfois ne pas être trop adulte pour avoir des enfants.
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