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EN ALAN AR MEURVOR
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26 octobre 2008

VERS L'ÎLE

“La voyageuse au long cours qu’elle était avait, sans s’en rendre compte, passé un cap, celui qui ouvrait sur l’océan infini. Jamais elle ne s’était sentie aussi libre. » Voilà ce qu’écrit Kleger aux environs du milieu de son livre « Vers l’île » pour dépeindre l’état d’esprit de son héroïne, Fant Lezangar. Et en vérité, la lecture de son roman nous invite à la suivre tout au long d’une traversée, d’un voyage jalonné d’escales. Qu’importe qu’elles n’y apparaissent pas dans l’ordre qu’imposerait la chronologie, qu’importe qu’on entende la voix de la femme en pleine maturité avant celle de la petite fille, puisque chaque pierre, au final, trouve à s’encastrer dans l’édifice de la vie.

         Pourtant ce roman n’est pas une biographie, pas même celle d’une vie chimérique. Certes la vie n’y manque pas et il faut bien la connaître et l’avoir observée pour peindre la mer, la terre, les fleurs, les animaux et l’âme humaine tels que l’auteur le fait dans son livre. Mais dans les biographies, une seule voix en déroule le fil, un seul point de vue règne de bout en bout, alors qu’ici c’est une chorale qui nous est donnée à entendre. Mettez en balance, d’un côté les propos de Fant adulte nous racontant l’amour qui la gagne, le désir de son homme et les sentiments contradictoires qui la rongent alors qu’elle s’apprête à franchir le seuil de la vie à deux, et de l’autre, les phrases de la petite Fant, qui du haut de ses cinq ans dessine à gros traits et tendrement son environnement quotidien. Gros traits peut-être, mais qui ont tant de vérité que le lecteur que je suis crut y retrouver les sons et les odeurs de sa propre enfance, pourtant si dissemblable. L’amante, la toute petite, l’adolescente, la femme âgée, tous les âges d’une vie de femme ont voix au chapitre. Et ces âges, plus que racontés, nous sont donnés à ressentir.

Pas question de biographie encore, puisque le roman ne nous raconte que quelques cinq journées de la vie de Fant. Cinq jours, non pas de remémoration mais cinq jours de bataille victorieuse sur une mémoire qui se refusait, cinq jours pour recoller les morceaux d’une vie scindée dans l’esprit de Fant comme on peut l’imaginer. Cinq jours, non pour raconter mais pour faire une vie, à partir de morceaux épars, pour s’affranchir du joug du passé, pour adoucir l’aigreur et l’incompréhension.

         Et la vie reconstituée envoie à Fant ses délégués, des fantômes diraient certains, qui échangent avec elle. Si bien que les dialogues abondent dans le roman de Kleger, jolie performance lorsque l’on se souvient que la vieille femme est presque toujours solitaire. Les dialoguent s’enrichissent aussi de la présence d’Orphéo, le chat dans les yeux duquel je parierais bien que Fant voit, comme nombre d’autres ont cru voir dans le regard des chats, un reflet de son âme.

L’enfance, l’âge adulte, la vieillesse sont décrits avec autant de véracité et de sensibilité. J’entends autant de maîtrise du récit des âges connus de l’auteur que de celui encore inconnu de la vieillesse. A tel point qu’on croirait qu’à libérer ses souvenirs lui est venue la mémoire du futur.

Fant a obtenu son « visa » pour la traversée vers l’île, son « laisser (tré)passer ». Cette île, certains s’étonneront d’en découvrir le rivage à la fin, bien qu’elle nous soit annoncée par bien des phrases dans cours du livre. Par cette fin, l’auteur affronte un tabou, à mon sens. Rares sont ceux en effet qui choisissent d’accoster l’île ainsi, avec les raisons qu’a Fant de le faire. Et pour le faire, ne faut-il pas se sentir vraiment libre ? 

A la lecture du roman de Kleger, on se prend à désirer plus que jamais que la langue bretonne reste vivante et féconde le plus longtemps possible pour que ces nouvelles contrées de la littérature puissent être explorées. Et précisément, c'est le genre de textes qui donne à espérer en l’avenir car la langue bretonne ne vivra, j’en suis convaincu, que si elle est capable de fournir de quoi satisfaire nos plaisirs.

Prononcé à Carhaix, le 25-10-08

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Commentaires
C
Bien émouvant discours. Je crois déceler dans ces paroles quelques traits que Kleger aime à nous faire partager. Félicitations aux deux écrivains.
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K
Ton discours est très bien écrit. J'aurais aimé l'entendre à Carhaix, mais c'est bien aussi de le lire ici. J'ai beaucoup aimé ce livre et je suis très heureuse que Kleger en soit récompensée. Longue vie à la langue bretonne, écrite et parlée !
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K
Trug.<br /> Ici au moins je peux verser ma petite larme en paix...<br /> C'est très drôle, heureusement que la paresse me fait toujours traîner sur les blogs avant de passer aux choses sérieuses,...j'allais, sur demande, m'atteler à la traduction !
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