TRIO GAGNANT
Je pense que pour certains du moins, après avoir évoqué Clamecy, notre destination finale n'était plus un grand mystère. Nous arrivons donc, 24 kilomètres plus loin, à Vézelay. Est-il utile de préciser que pour qui aime l'architecture médiévale, Vézelay est une sorte de "must". La célèbre colline se dresse dans un paysage assez fortement valloné qui ne manque pas de charme. La basilique fait partie de ces édifices - dont Chartres dans une scénographie inverse - que le paysage théâtralise.
J'arrive bien sûr à Vezelay avec une connaissance assez précise - architecturalement parlant - de ce que je vais voir. Je me souviens avoir pensé, il y a bien longtemps, que la célébrité de la partie romane faisait qu'on commentait assez peu le choeur, ce qui me semblait un peu injuste. Justice est rétablie depuis - j'ai sans doute de meilleures lectures - puisqu'il s'agit non seulement de la construction majeure du premier gothique en Bourgogne mais sans doute aussi une des plus belles réalisations de ce gothique primitif en général. J'ai surtout en tête que je vais voir un des duos les plus marquants du roman et du gothique. Je connais et apprécie particulièrement cette combinaison grâce à deux autres exemples illustres : l'abbaye du Mont Saint Michel (nef romane - choeur flamboyant) et la cathédrale du Mans, (nef romane de transition - choeur normano-rayonnant à la sauce de Bourges! ). Je m'attends donc à un autre duo gagnant, mais ce sera en réalité un trio.
Vezelay est aussi pour moi un "lieu de l'histoire médiévale" où plusieurs événements importants se déroulèrent, dont trois m'étaient connus : Saint Bernard y prêcha la deuxième croisade, Thomas Beckett y trouva refuge et fut à deux doigts d'excommunier le roi d'Angleterre - et s'en abstenir ne le sauvera pas - , et le dernier, qui des trois est celui que j'évoque le plus souvent pour nuancer la vision d'une population médiévale aveuglément soumise à la puissance de l'Eglise : en 1106, les habitants, qui ne supportent plus la charge du financement des travaux de construction de la nouvelle église, se révoltent et tuent l'abbé Artaud!
Nous nous installons à notre hôtel et juste avant de gravir la longue rue pentue qui mène à la basilique, une pensée me traverse : je me souviens soudain - ou je prends conscience ? - que je me suis inspiré en grande partie de la configuration du site de Vezelay (position dominante, longue rue qui y monte, jardins à l'arrière) pour ma propre cathédrale dans le roman qui lui est consacré. Evidemment, dès que je pose le premier pied dans la dite rue, l'illusion s'estompe, car mon imaginaire avait habillé tout ça de granites et de colombages qu'on ne retrouve pas ici. Enfin, je craignais une surfréquentation touristique et je suis plutôt rassuré. En tout cas, pas de quoi rendre invisible l'espèce locale.
Au sommet de la longue rue, la façade, manchotte comme souvent (le nombre de façades harmoniques inachevées est étonnant), apparait, inondée de soleil. Ca n'est pas ma partie favorite de l'édifice. La sachant fortement restaurée par Viollet Le Duc, j'ai longtemps cru que son étrange pignon (curieusement en arc brisé au lieu d'être triangulaire) était de sa main. Que nenni, cette partie est bien authentique, du milieu du XIIIème, ainsi que les statues qu'elle porte, elle est même d'un style local que nous retrouverons le lendemain. dans un édifice proche. Le portail, lui, est du XIXème.
Devant cette façade, un peu plus tard, je goûterai un cocktail très tendance dont je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler, le spritz , qui monte pas mal à la tête...
L'édifice est très long, presque autant que N. D. de Paris mais comme il est beaucoup moins haut, il parait s'étirer à l'infini comme une cathédrale anglaise.
En faire le tour, c'est aussi bénéficier du belvédaire et de la vue étendue qu'il prodigue.
Le chevet est très sobre, loin de reflèter là encore, la gracilité de l'intérieur.
Entrons.
Si j'ai parlé d'un trio gagnant, c'est que le narthex, l'avant nef de l'église, loin d'être un simple vestibule, est lui-même une nef majesteuse, aussi élevée que le vaisseau principal mais d'un style très différent, formidablement éclairé par les vastes fenêtres gothiques occidentales et bien sûr servant d'écrin à un célèbrissime triple portail roman. La "mise en scène" est remarquable, d'autant qu'on apperçoit, par les vantaux grand ouverts, la nef et le choeur. Ainsi se succèdent dans une douce harmonie, trois styles, trois niveaux de luminosité.
L'élévation de l'avant-nef est à deux étages, monumentale et très clunisienne dans son style, heureusement sans pilastres à l'antique.
Qu'en était-il de l'éclairage (pas de fenêtres directes) avant le percement gothique de la façade au XIIIème ?
Je m'amuse à cacher le choeur gothique avec le trumeau...
Le grand vaisseau est magnifique. Contrairement au Mans où la nef me fait toujours l'impression d'un faire-valoir au choeur, ici c'est un chef d'oeuvre de l'architecture romane. Habituellement, l'art roman à grande échelle me laisse assez froid, à Vezelay ça n'est pas le cas. Tout y est subtil et légér, la plastique murale nerveuse est rehaussée par la polychromie des pierres. Bien que l'élévation soit très simple, à deux étages seulement, c'est une impression de richesse formelle qui se dégage. L'usage de voûtes d'arêtes donne une répartition des étages proche de celle du gothique. Mais ces puissantes voûtes d'arêtes, rarement utilisées sur une telle largeur, ont dû être épaulées au XIIIème par des arcs-boutants (voir photo précédentes).
Le choeur est au delà de mes espérances.
Il est entreprit en 1185 donc plus tardif de 10 ans que Cantorbery (introduction du gothique en Angleterre) et de 20 ans postérieur à N. D. de Paris, le plus grand édifice en gothique primitif. On y voit l'influence de Sens dans l'élévation (la première grande église gothique avec Saint Denis), mais 50 ans se sont écoulés. Donc on peut résumer en disant que c'est une édifice gohique primitif très tardif, ce qui explique sans doute la maîtrise, la finesse et l'élégance de l'exécution. Le mur est fin (le mur épais sera adopté en Bourgogne plus tard - comment, sous quelle influence?), mais on y voit déjà une goût des colonnettes nombreuses et bien individualisées de la maçonnerie, voire en délit, qui annonce la suite (voir Clamecy). Le triforium comporte 13 baies, celle du centre figurant le Christ est ornée d'un polylobe. Une autre montre un pilastre carré au lieu d'une colonne ronde, c'est Judas.
Le déambulatoire est l'endroit où l'abondance des colonnettes est la plus évidente. Elles sont autour des piles séparant chaque chapelle et aussi, comme on a curieusement évidé les cloisons entre ces chapelles, elles habillent le pan de mur qui relie une chapelle à l'autre. Ces dernières sont au nombre de 144 (144000 élus dans le ciel de l'Apocalypse?). La finesse des colonnes du ront-point laisse le regard vagabonder partout dans cet espace "translucide". Le gothique classique ne retrouvera jamais la magie des ces déambulatoires expérimentaux du début du gothique.
Il me reste bien sûr à évoquer l'oeuvre sculpturale, considérable. Plus que l'extraordinaire portail, magnifique dans le détail mais dont la composition d'ensemble me séduit un peu moins (et je ne parle pas de la signification, très hermétique pour moi)...
... j'ai été fasciné par les chapiteaux historiés où la l'extrême stylisation romane n'empêche pas la vigueur expressive.
Le moulin mystique:
Deux lions creusant la tombe de Saint-Paul devant Saint-Antoine:
David coupe la tête de goliath:
Daniel dans la fosse aux lions
Saint-Martin et l'arbre des païens:
L'histoire de Saint-Jean Baptiste À gauche Jean tire son bourreau par son vêtement
Au centre le Christ montrant sa tristesse en apprenant la nouvelle de la mort de Jean
David et Nathan:
La mort de Caïn:
L'ange du jugement dernier
Ces photos ont été réalisées en deux temps, le jour de l'arrivée et le lendemain après-midi. Le matin du second jour nous devions faire une virée dont le prochain post sera l'objet et ensuite, avant une visite commentée et sommaire de la "Spre*v" locale, nous assitâmes à un concert en extérieur, dans un jardin. Vézelay est "cité de la voix". C'était un groupe de femmes (à voix égales en termes savants !) accompagné d'une harpe classique. C'était intéressant pour moi d'entendre cet instrument en accoustique, sans amplification, de façon à me rendre compte du volume sonore de la plus puissante des harpes (et néanmoins le plus inaudible instrument de l'orchestre !). Alors que la musicienne - du nom de Ma*rie Le Gue*rn - accordait son instrument, je me suis approché, ce qui l'intrigua. Celle-ci m'ayant remarqué, je me justifiai en disant que je cherchais la marque de la harpe et l'ayant enfin vue, j'ajoutai : ah, je vois que c'est une Lyon and Healy. "Monsieur est connaisseur", rétorqua-t-elle. Pour le reste, il faisait bon dans le jardin, j'étais bien assis et je me focalisai sur le jeu de la harpiste, ce qui fut distrayant, car pour le reste (la musique !) je m'ennuyai ferme (contrairement à Vladimir, sauf pour Debussy).