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EN ALAN AR MEURVOR
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19 mars 2019

Chapitre manquant d’un vieux livre

 DSC00166J’allais ouvrir en disant que la mémoire est étrange. Mais il ne s’agit nullement de la mémoire. C’est autre chose. Car de ce que je vais évoquer, je n’avais rien oublié, même si faire travailler le muscle mémoriel va immanquablement faire ressurgir des détails. Ça n’était pas oublié mais archivé, classé, loin. D’un autre monde, d’une autre vie. Mais depuis samedi, j’y repense et tout cela revêt un caractère d’étrangeté qui me met, il faut bien l’avouer, un peu mal à l’aise. Ça n’est point la petite histoire elle-même – que d’aucuns pourront trouver triviale dans la circonstance – qui me gêne mais ces successions de pans de vies qui ne ce concilient pas. D’où l’envie de remettre de l’ordre dans ces souvenirs et cet endroit me semble le seul approprié.

J’ai appris hier, par les réseaux sociaux, la mort d’un grand nom de la culture bretonne. J’aurais pu dire d’une vieille connaissance mais – et toute l’étrangeté réside en ceci – mon rapport personnel à la personne ne m’a pas effleuré à cette annonce, il a ressurgi après coup. Des heures plus tard, je veux dire. Ce à quoi j’ai pensé d’emblée est ce à quoi ont pensé tous ceux qui ont un pied dans la culture bretonne, et que rappelle le beau florilège d’hommages médiatiques du Monde à France Musique pour ne citer que les plus prestigieux et éloignés : le fait que malgré ses presque 62 ans, il était un peu – selon ses propres termes - un homme du XIX ème siècle, le dernier – le plus jeune j’entends – à avoir appris la langue, le chant et les gammes traditionnels sur les genoux de sa mère, en transmission directe ; puis partant, l’immensité de son travail de collectage et de musicologie qui a sauvé d’un oubli irrémédiable tout un corpus de textes et mélodies populaires ; sa voix bien sûr, pour finir, très particulière, due à un « défaut » de ses cordes vocales.

J’ai été frappé également, ou plutôt ému pour mieux dire, que souvent les morceaux que les gens évoquent en signe de deuil depuis hier, étaient souvent tiré de la formation que je préfère parmi les nombreuses auxquelles il a participé ou qu’il a suscitées – quand il ne chantait pas a capella, à l’ancienne, ce qui fut longtemps sa spécialité. Ce groupe, actif dans les années 90, a été l’objet de ma première interview lorsque j’ai commencé ma – courte – carrière radiophonique. C’était au mois de mai, mon premier mois de mai en Bretagne, et il me semble que je n’en ai pas connu de plus radieux depuis. J’avais fait cette longue route de Quimper jusqu’aux abords du grand lac de l’intérieur du pays, où il habitait alors, pour ce reportage. J’arrivais de Paris, j’étais timide, je ne connaissais personne en Bretagne et j’avais hérité d’un remplacement de 15 jours du principal magazine – quotidien - en langue bretonne, cette même émission que j’écoutais avidement lors de mes séjours estivaux en Bretagne, comme unique source pour épancher ma soif linguistique. Ma directrice des programmes m’avait dit, pour me mettre à l’aise, me rassurer : « tape dans tes amis, interviewe tes connaissances, pour commencer ». Elle ignorait, la pauvre, à quel point la liste était courte. Je ne connaissais qu’une seule personne susceptible d’intéresser mes – futurs - auditeurs et c’était JFK.

La première fois que je l’avais entendu c’était, des années plus tôt, à cette même antenne de Radio France pour laquelle je devais désormais travailler. Je m’en souviens très bien, le journaliste l’avait présenté comme étant du pays vannetais et il s’en était défendu sèchement, ce qui m’avait un peu effrayé alors. Ces subtilités devaient m’échapper à l’époque et me sont évidentes aujourd’hui. J’ai connu ainsi, sur la bande FM, ses chansons et de temps à autres son nom apparaissait à l’affiche d’un fes*t-noz. Nous avions pour habitude, mes sœurs et moi, d’aller chaque été à quelques unes de ces fêtes de nuit. Et nous n’hésitions pas à quitter le bord de mer vers l’intérieur du pays, parfois jusqu’à 50 km, pour une belle affiche. Un soir – était-ce cette fois où le bal avait lieu dans les ruines d’une abbaye cistercienne ? - JFK était l’un des chanteurs, la tête d’affiche à n’en pas douter.

J’ai l’impression vague que je porte un vêtement inhabituel, ample. Bleu clair, dans mon souvenir. C’est très bizarre que je me souvienne de cela car de tous les festoù-noz ou autres concerts où j’ai pu aller, c’est bien le seul dont je garde un pareil détail en tête ! Pour être plus précis, c’est assez difficile à exprimer, mais je me souviens de moi. Comme entité physique. Ce qui va suivre en est sans doute la raison. Je comprends tout cela en l’écrivant bien sûr.

En tout cas, ce que j’ai en tête à ce moment, c’est la langue et la culture bretonnes. J’ai entendu plusieurs fois JFK à la radio et j’estime que je comprends relativement bien son breton haut-cornouaillais mâtiné de vannetais. J’ai assez envie de parler avec lui. Mais quand on est timide, on est maladroit. La maladresse peut paraître effronterie, à l’inverse. Il eut été si simple de l’aborder, de lui dire que je désirais parler breton, que l’occasion n’était pour moi pas si fréquente, au fond… Mais j’étais (suis?) incapable de ça. Lorsque JFK laisse la place aux musiciens et descend de scène, il se joint aux danseurs. Le cercle se forme et je me trouve – de mon fait, du sien ? - à ses côté et je lui fais la remarque, en breton, qu’il faut intercaler une fille – quelle ironie ! J’ai bien vu qu’en lui adressant la parole en breton, je marque un point, au-delà de toute espérance. Et dans ma grande naïveté, je n’y vois que le résultat des mes talents linguistiques. Il faut dire que cette soirée était placée sous le signe du quiproquo, à tout point de vue. Je n’avais pas pu ignorer que lors de la danse précédente, alors qu’il était sur scène, il n’avait d’yeux que pour nous (j’étais à côté de ma sœur) et j’en étais très honoré. Le grand JFK devait nous trouver sympathiques, à moins que ma sœur ne lui ait tapé dans l’œil. C’est d’ailleurs bien ce qu’elle a dû penser aussi car je constatai avec stupéfaction qu’elle se lança alors dans une opération de drague assez évidente. J’en éprouvai quelque malaise car je n’avais guère coutume d’assister à ce genre d’assauts de la part de ma sœur (la plus jeune, cela va sans dire) et je dus par ailleurs la trouver assez gonflée. JFK, quand même ! Elle devait être reprise de ce vieux fantasme du fin fond des années 70 – quand certains au quartier latin prétendaient avoir été choisi par Marcel Carné pour interpréter l’ange tombé de la falaise du Cap Sizun - de séduire un artiste breton, pensai-je. Mais force fut pour moi de constater qu’elle semblait parvenir à ses fins. Elle suscita l’intérêt du chanteur au-delà de tout pronostic et entra en grande conversation avec lui. Moi, à la fois par pudeur et par déception - bretonnante -, je m’éloignai du théâtre de l’opération. Je la retrouvai plus tard, alors que JFK avait dû être rappelé par ses obligations de maître de cérémonie. J’étais un peu inquiet de la tournure qu’avaient pris les événements. Elle était dépitée ! Et ce qu’elle m’affirma alors me plongea dans l’embarras, le mot n’est pas assez net, dans les affres d’un questionnement que je n’avais pas prévu d’avoir an mon for intérieur ce soir là. Toute cette grande conversation que j’avais constatée de loin n’avait consisté qu’ en une chose : des questions à mon sujet. Il avait aussi demandé mon adresse et quand ma sœur proposa de lui donner la sienne, il indiqua que cela suffisait. Je l’imaginais assez disant cela d’un ton cassant comme à l’animateur qu’il l’avait cru vannetais.

C’est pour cela que je me souviens de moi, à cause de ce que tout cela impliquait et que soudain je ne pouvais plus faire semblant d’ignorer. Car à ce moment là quand même, j’avais fini par comprendre. Je devais bien être le seul et l’unique à avoir ignoré que JFK était homo. Un secret de polichinelle ! C’était inattendu, inconfortable. Je cherchais la Bretagne et mon me répondait autre chose. J’ai bien de la peine à retrouver ce que j’avais en tête à ce moment. Factuellement, je n’avais bien-sûr jamais eu de relation homosexuelle et au-delà de ça, c’était la première fois de ma vie d’adulte (âge estimé entre 20 et 22 ans), qu’un homme me « draguait ». Il m’avait pris pour un touriste anglais et avait été d’autant plus surpris que je lui aie adressé la parole en breton. Cela m’étonnait beaucoup que je puisse plaire, à la vedette de la soirée de surcroît. (Ne croyez pas que cela m’ait donné alors la moindre confiance en moi!) Je me suis souvent posé la question de savoir ce qu’il en aurait été si l’inverse avait été vrai. Car je dois confesser qu’il ne m’attirait pas le moins du monde. A cet âge là, 8 ans c’est énorme. Il était « vieux » ! Qu’aurais-je fait, s’il m’avait plu? Car les occasions de concrétiser n’avaient pas manqué dans les jours qui suivirent.

En effet, l’histoire ne s’arrête pas là. Un fois de plus, j’ai les faits en mémoire, mais il me manque les enchaînements, les éléments moteurs. Qui a pris l’initiative de ce qui a suivi ? C’est important, car quelques heures après l’annonce de sa mort, ces questions m’ont taraudé. J’ai eu soudain l’effroyable impression d’avoir de nouveau – toutes proportions gardées, car je pensais à Christophe comme précédent - laisser passer irrémédiablement l’occasion de m’expliquer. Ai-je suscité ce qui suivit ? Ai-je seulement laissé faire ? Qui a pris l’initiative d’utiliser ce numéro de téléphone ? A quoi cela rimait-il ? J’ai honte des deux réponses possibles. Soit c’est moi, car, ayant perdu la naïveté du premier soir, j’aurais soudain aimé me faire courtiser, m’enivrer de cette courbe tangentielle au possible, du confort de ma citadelle imprenableen effet, dans toute cette brume de souvenirs mal articulés, une certitude resplendit : je ferais en sorte que rien ne se passe, c’était inconcevable. Bref, je n’aurais été qu’un vulgaire allumeur. Soit c’est ma sœur, et alors quelle perversité la poussait à ce rapprochement dont elle ne tirerait rien ? Aurait-elle inconsciemment agi en bazh-valan*, elle qui 18 ans plus tard, m’assura avec un stupéfiant aplomb dans le mensonge, qu’elle n’avait rien soupçonné de mon homosexualité.

Bref, cet été là, a été l’été JFK. Comme un titre de film. Un peu comme un film de Rohmer, on parle beaucoup, il ne se passe pas grand-chose, il y a une tension. Il est venu à la maison, y a dormi. Nous avons été chez lui. Nous allions à la plage. Il y a eu ce repas où j’avais invité des amis – saumon grillé dans la cheminée -, cette grande conversation sur le masculin et le féminin qui avait soudain plongé dans le mutisme la moitié de la tablée. Le copain s’était tu, mes deux sœurs aussi, la plus jeune roulait de grands yeux éperdus dans l’angoisse de ce à quoi cette conversation pourrait nous mener. Il n’y avait que la femme du copain – étude en psycho - , JFK et moi-même qui étions enflammés par le sujet. Ma sœur aînée me dira après coup qu’elle était effrayée, qu’on parlait fort, qu’elle avait peur qu’on se batte ! Et puis, il y avait, je suis obligé de le dire, une forte – enfin pour moi à l’époque c’était fort ! - tension sexuelle. C’était un sacré coquin et il me mettait un peu la pression… Je passe les détails. Avec le recul, ça me fait tout drôle de dire ça, mais il devait être assez accroc. J’ai envie de dire trivialement, un simple plan cul ne valait pas tous ces efforts. Et puis il y a eu cette belle lettre en breton que j’ai reçue à la même période, très romantique où il m’invitait à venir (seul) chez lui, pour d’infinies promenades vespérales sur les landes de son pays. Jamais reçu pareille chose en breton depuis. Les vacances se sont terminées et je suis retourné à Paris.

Lorsque je l’ai revu pour cette première interview, l’été JFK fut passé sous silence. Les relations étaient désormais « professionnelles ». Il me fit néanmoins une remarque qui m’irrita au plus haut point. « Tu ne resteras pas, tu repartiras à Paris ». Malgré mes dénégations féroces, il me regardait avec un petit sourire narquois. Je savais tellement que je n’y retournerais jamais. Ça n’était pas qu’une certitude, c’était, par avance, un fait. Je suis sûr qu’il pensait, en disant cela, que la vie pour un homo était plus facile (propices aux rencontres?) à Paris. Mais je n’avais pas connu ça, moi de toutes façons. Car je pense qu’il a toujours été persuadé, malgré son insuccès et ce que je donnais à voir à l’époque, que j’étais homo. En tout cas, telle la mule du pape, je me suis juré qu’un jour, je lui renverrais cette phrase à la figure. Et je l’ai fait, 10 ans plus tard. « Alors, je suis parti ? ».

J’ai eu l’occasion de revoir JFK assez régulièrement, sans que ce soit très fréquent. Mais, je l’ai toujours manqué. Franchement, tout cela est un peu dommage. Nous avions quand même pas mal de centres d’intérêts en commun, sa chanson préférée est celle que je chante dans la pièce, pour n’en citer qu’un, son rapport aux mots, à la langue, la questions des passerelles – parfois branlantes - entre la langue littéraire des livres et la langue littéraire des chansons et des proverbes sont autant de questions dont j’aurais aimé discuter avec lui, maintenant que j’y pense. Mais l’été JFK a biaisé les relations pour toujours. Ça a toujours été là. Il m’a plusieurs fois mis mal à l’aise, en compagnie de tierces personnes, par ses regards langoureux, ses allusions, alors que je me cachais. Au fond, ça m’agaçait un peu de n’être que vu par ce filtre. La dernière fois que je l ‘ai rencontré c’était un curieux accident. Par erreur, un journaliste nous a invité tous les deux à la même émission, croyant n’avoir invité que l’autre. Nous avons dû partager le temps de parole. J’étais depuis longtemps sorti du placard, et je ne craignais plus rien. Mais le regard coquin était toujours là, et les petits pièges verbaux… en direct.

Je dois dire, que bien involontairement, il m’a poursuivi aussi quand j’ai commencé à rencontrer des garçons. Combien de fois des hommes m’ont-ils pas parlé de lui dans leur lit quand ils apprenaient mon lien à la langue bretonne. C’était devenu aussi prévisible que le « mes parents, on leur a interdit de parler breton à l’école » quand on dit qu’on est prof de breton. Car, il était connu dans le milieu homo, notamment comme le premier qui avait fait passé une annonce en breton dans G*ay Pi*ed. Il avait été à la fois a été pionnier et très en retrait la dessus aussi. A-t-il seulement eu entre les mains mon livre sur le sujet ? Il en a forcément entendu parler. Il a dû bien rigoler à mes dépends et je lui en accorde le droit a posteriori et de bonne grâce. Des journalistes m’ont dit qu’à un moment donné, s’ils voulaient une réaction en breton sur ce thème, ils essayaient avec lui. Il voulait rarement. J’ai pris cette place à plus tard. Je vois que depuis peu, d’autres m’ont remplacé, c’est très bien.

Quand j’ai appris sa mort, mes pensées ont été pour son œuvre, et puis tout cela est revenu en mémoire, je me suis rappelé qu’il était un peu un jalon dans une certaine histoire de ma vie. Mais il aurait pu faire partie de mon histoire culturelle aussi, mais ne l’a jamais été. Un rendez-vous manqué en quelque sorte. Les points communs ne rapprochent pas toujours.

 * bazh-valan:  entremeteur

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Commentaires
C
Une chouette note que je n'ai pu lire qu'à l'instant. Il y a des choses très émouvantes dans tout cela et on reconnaît bien certains des traits de ta personnalité et de ton parcours de vie. Cela n'en reste pas moins assez étonnant.
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P
J'étais partie pour commenter mais ça s'est transformé en post, tu comprendras en mesurant la longueur :) quoique tu me battes largement ! :)
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