JUSTE APRES ET JUSTE AVANT
Le seul vrai "parisien" du groupe nous avait trouvé au débotté un point de chute - et de restauration - à côté des Halles, en totale reconstruction. Après d'apres discussions où furent mis dans la balance des monuments très différents, j'emportai la mise en suggérant le musée des arts et métiers, pas tant pour ses collections technologiques que pour son abbatiale clunisienne. Nous nous apprêtions à mettre le cap sur le centre Beaubourg, que la marquise - quelle béotienne, doux Jésus ! - n'avait jamais vu, lorsque je m'avisai que nous tournions le dos à une remarquable église: Saint Eustache. J'en suggérai donc la visite. Je me trouvais alors dans une situation des plus communes, à savoir mener des promeneurs vers une église, et pourtant quelque chose me paraissait étrange, inédit, voire incongru. Et à force d'y penser je compris. C'était la première fois que je me trouvais à Paris avec des amis connus en Bretagne et c'était aussi la première fois que je faisais le "guide" dans cette ville auprès de gens qui la connaissaient moins que moi!
Saint Eustache est une église unique dans le sens où, au coeur de Paris, bien loin des soi-disant foyers de résistance à la modernité, on met en oeuvre aussi tardivement que 1532 (!) une église dont la structure, le plan et la verticalité seraient entièrement gothiques - avec néanmoins le parti-pris du retour au plein cintre - et dont le vocabulaire ornemental serait celui de la renaissance. C'est une réussite totale où il semble que les deux courant artistiques s'expriment pleinement au lieu de s'opposer. Notons la forme elliptique des fenêtres hautes (sorte d'hapax architectural jusqu'à la Sagrada Familia??) et la hauteur de 33 mètres sous voûtes qui est celle de Notre-Dame, ce qui n'est sans doute pas un hasard, car de la cathédrale elle reprend aussi le plan à double d'éambulatoire. Bref, il y avait quelque architecte au XVIème pour admirer le gothique malgré l'infâme Vasari! En Bretagne, dans des édifices sans commune mesure avec celui-ci, on est habitué à ces hybridations jusque tard dans l'âge classique.
Le second édifice, que je voyais lui pour la première fois, est aussi une sorte d'objet unique, n'appartenant à aucun style défini. Il est juste avant le gothique alors que l'autre est juste après et ils en ont tous les deux l'esthétique sans en avoir tout à fait le vocabulaire. Voila comment, d'une pirouette on peut rapprocher deux bâtiments si différents à voir.
Saint Martin des Champs passerait presque pour une belle église de campagne et le cadrage photographique peut même faire illusion.
Elle précède de peu le déambulatoire de saint Denis. Seule sa partie centrale est voûtée d'ogives et encore ces ogives sont-elles plus des nervures habillant des coupoles dans la chapelles d'axe (incroyable et unique tri-conque!) que vraiment structurantes. Les fenêtres n'y pénètrent pas comme si elles n'avaient pris la mesure de la nouvelle donne. Les autres espaces sont couverts de voûtes d'arrêtes qui peinent à s'adapter au plan du déambulatoire. Le plan d'ailleurs est irrégulier au possible et difficile à interpréter Les chapiteaux sont romans, les rangées de fenêtres sous arcature continue aussi. Et pourtant, dites ainsi, les choses reflètent mal cette impression gothique avant la lettre qui se dégage du monument. Sont-ce les chapelles contiguës, les arcs brisés partout, l'ébauche de double déambulatoire, la disparition du mur au profit de la rangée de baies? L'impression donnée est que le déambulatoire de Saint Denis, ce chef d'oeuvre précoce et précurseur, ce premier accomplissement de l'art ogival naissant, n'a été inventé que pour faire ce que Saint Martin a échoué a mener tout à fait à bien. J'achoppe à analyser de manière satisfaisante cette église mais si le choeur lui-même n'est pas de la plus grand élégance, ce déambulatoire vaste, aéré, complexe m'a fait le meilleur effet.