EN ALAN AR MEURVOR HABASK 1
- etre morig ha mor bras -
Une compagnie aérienne un peu inconséquente nous amène à Madrid avec deux heures de retard, nous fait traverser au pas de course un aéroport plus que gigantesque aux réminiscences gaudiennes, pour finalement nous fermer au nez la porte du sas qui conduit à l’avion à destination de San Jose, capitale du Costa Rica. Et voila comment nous fûmes amenés à passer une soirée imprévue dans la capitale espagnole, en pleine effervescence d’avant fêtes. Ce fut ma foi assez sympathique, comme toutes nos virées ibériques, nous visitâmes des églises baroques aux retables insensés, aux stucs inimaginables et une cathédrale qui sous son dôme et derrière sa façade aussi amène qu’une porte de prison annonçait un néo classique de mauvais aloi alors que son vaisseau intérieur était d’un assez élégant néo gothique ; un authentique gag architectural ! En fait de tropiques, je suis confronté à Madrid au premier froid hivernal. Il gèlera pendant la nuit alors qu’en Bretagne, camélias et rhodos déboussolés fleurissent faute de froid…
C’est donc bien reposés que nous arrivons à San Jose le lendemain. Pas de choc thermique, puisque là bas règne le dit printemps perpétuel, entre 20 et 25 degrés, sous un ciel souvent nuageux, bref un peu notre été à nous. Non, le décalage vient d’ailleurs, de cette radio qui hurle à une vitesse phénoménale un commentaire sportif avec un accent qui n’est plus celui de Castille, alors que défilent sous un ciel plombé, de part et d’autre du taxi qui nous emmène à notre hôtel, de basses maisons vivement colorées et fortement barricadées de grilles d’un type que je n’ai jamais vu de ce côté ci de l’Atlantique. Déjà, mon imaginaire est ensemencé et mes idées virevoltent au-delà d’une réalité déjà haute en couleurs. Un jeune homme nous accueille, nous montre notre chambre. Je vais clore la fenêtre avant la nuit pour faire barrage aux moustiques. A cette occasion je prends ma première photo du couchant. Des nuages s’accrochent sur une montagne et le spectacle me séduit. J’ignore que je ne cesserai durant tout notre voyage de contempler ces bonnets vaporeux prisonniers des sommets.
Le lendemain, le jeune homme part suivre ses études et c’est sa mère – croyons-nous – qui prend le relai. Elle parle bien anglais (du moins sa version américaine). Sa gentillesse et son côté maternant me fait penser à une amie colombienne. Nous apprendrons au retour, alors qu’elle nous donne un coup de main bien que nous ne soyons plus ses hôtes, qu’elle est native de Bogota. Elle nous sert notre premier petit-déjeuner fruité à la mode du pays.
Quand je démarre le 4X4 pour traverser la moitié du Costa Rica et rejoindre les forêts tropicales humides (cinq heures de route nous attendent), je suis plein d’appréhension. Les loueurs de la voiture nous ont brandi quelques épouvantails et les routes du pays ont mauvaise réputation (d’où le choix obligatoire de ce type de véhicule que je n’aime guère quand je le vois sur les routes goudronnées hexagonales). Mon attente est telle que ce que je découvre est plutôt rassurant et rien de fâcheux ne nous arrivera, si l’on excepte, le dernier jour, une bêtise karagarienne qui nous conduira dans les bras de la police costaricaine !
La route tournicote et descend. La montée de la température est proportionnelle à la perte d’élévation. Il fait plus chaud que dans la vallée centrale mais pas encore aussi chaud qu’au niveau de l’océan. Le détail est d’importance. Ce sont des conditions favorables à… Mais n’allons pas trop vite car je l’ignore alors. Je stoppe sur le bord de la route pour deux raisons. La première est que j’ai un besoin naturel à satisfaire. Je m’engage donc sur le bas-côté et ne tarde pas à trouver un endroit favorable mais je trouve incongru qu’on ait pris la peine de tailler tous ces arbustes à feuilles coriaces qui m’entourent.
Je vise alors les fruits des arbustes et cette fois je les reconnais tout à fait, pour en avoir déjà vu des images : du café !
Ah, je n’étais pas peu fer, vous l’imaginerez aisément, d’arroser ainsi ces plantes qui me fournissent un breuvage dont je fais grande consommation.
D’ailleurs, les exploitants ne tardent pas à nous faire signe de monter à la ferme d’où la vue est belle. Je reste garder la voiture (on nous a incités à la plus grande prudence) et Vladimir s’y rend. Je lui confie l’appareil mais quelque-chose cafouille et de photo, il n’y aura point.
Une photo de quoi, au fait ? Ah oui, j’avais une deuxième raison de m’arrêter à cet endroit. De là, je le voyais pour la première fois, le grand, le géant, l’immense…
Et plus tard (pas mal de temps plus tard car le moindre kilomètre prend beaucoup de temps ici), nous y sommes.
C’est presque trop évident. Je rêve toujours des mers inconnues et quand je les vois j’éprouve un tel sentiment de familiarité que je cherche en vain l’étrangeté, la singularité.
Forcément, je me fais la main, car dans ce domaine, j’en attends beaucoup (trop ?) de monsieur Pacifique.
Mais entre les plantations de café et l’océan, il y avait un pont, et Vladimir trépignait d’impatience de passer ce pont. Pourquoi ? Vous le saurez la prochaine fois.