LA HONTE DE KARAGAR
En narrant ce qui va suivre, je sais bien que je m’expose à la raillerie de certains d’entre vous. Je m’y risque néanmoins car j’ai vécu cet instant de manière exaltée.
Pour comprendre cette excitation, il faut que vous sachiez que je fais de temps à autres un rêve qui est l’expression d’un de mes plus grands fantasmes. A plusieurs reprises, j’ai cru pouvoir rattacher ces errances oniriques à des moments de la vie vécue. C’est dire si je suis en quête de sa concrétisation. Ce rêve consiste pourtant en peu de chose. Je suis dans ma maison – qui n’est au demeurant jamais celle dans la quelle je vis en réalité, mais qu’importe car dans le temps du songe elle m’est familière – et soudain s’offre à moi une porte jusque là dérobée aux regards, que j’ouvre et qui me conduit dans une partie de la bâtisse jusque là ignorée de moi. La superficie de la maison s’en trouve doublée et je n’ai d’autre envie que d’en explorer tous les recoins. Mon état d’esprit est alors toujours le même. Je ne comprends pas comme j’ai pu ignorer si longtemps la taille réelle de ma demeure, je me demande quoi a bien pu m’empêcher de profiter de cet espace et dans le même temps je suis au summum de l’excitation à l’idée de cette nouvelle géographie de mon quotidien. Le réveil a toujours le goût de la déception, forcément.
Eh bien, sachez que j’ai expérimenté cette sensation dimanche. J’étais exactement dans cet état d’excitation exploratrice. La seule différence dans le scénario est qu’il ne s’agit point d’une maison mais d’un lieu. Un lieu que je croyais familier, que je croyais connaître. Et que je n’avais jamais vu en réalité. Il s’agit de la pointe du Va*n, cet autre finis terrae qu’on présente souvent comme l’alternative à la trop galvaudée pointe du Ra*z et qui offre d’ailleurs de belles perspectives sur sa célèbre concurrente. J’ai toujours aimé fréquenter cet outsider, ne serait-ce que pour sa chapelle en bord de falaise, ses « kerreg » à demi détachés du rivage mais, malgré la beauté de l’endroit, je n’étais jamais vraiment satisfait car manquait une pointe digne de ce nom, un promontoire, un appendice qui justifiât son nom !
A ma grand honte et pour mon plus grand plaisir, j’ai découvert que je me trompais ! A force d’errer autour de la chapelle je n’étais jamais allé au bout, je n’avais ni vu ni soupçonné la pointe ! Et voila que celle-ci m’apparait dimanche car j’aborde l’endroit pour la première fois de ma vie par sa « face nord », abrupte et sombre, plus verticale que sa célèbre consœur.
C’est comme un cadeau du ciel, c’est comme si une pointe avait poussé aussi naturellement qu’une nouvelle branche, comme si on avait poussé les murs (ou la mer !), bref c’est mon rêve à ciel ouvert. Autant vous dire que je parcours le sentier avec avidité jusqu’à la pointe que je découvre avec sa projection d’étocs en mer comme sa grande sœur. Ne lui manque que le phare pour pouvoir s’y mesurer tout à fait.
L’autre est-elle indifférente à ma découverte ?
Non, elle me fait un clin d’œil.