DE PART ET D'AUTRE DE LA MONTAGNE ROUSSE
La montagne était brune. Ou du moins d’une sombre rousseur que je lui avais rarement vue. Sans doute voulait-elle se mettre à l’unisson des splendeurs automnales de cette année, préparées par le manque cruel d’eau, puis déclenchées, oh paradoxe, par l’irruption du déluge, la semaine dernière. La montagne était ocre aussi, et jaune, rehaussée de noirs troncs rachitiques. Enfin belle, comme les moutonnements forestiers de ses contreforts, comme le ciel où se disputaient les vestiges azurés de l’été et les noires nuées annonciatrices de l’hiver.
Nous traversâmes la montagne deux fois, grand désert de fougères au delà duquel se niche le jardin ancien.
Qui nous accueille en orfèvre foliaire, pendeloques presque roses, rubis palmés, ors mêlés d’émeraude, oranges innombrables. Les érables japonais sont dignes de ceux que j’ai vus en ces parcs toujours parés de prestige à mes yeux. La symphonie rêvée il y a longtemps enfin bien orchestrée. Un acheteur potentiel visitant le jardin a dit son malaise, son oppression devant le végétal conquérant, parfois inextricable. Je peux le comprendre. Ce jardin a de quoi faire peur.
La gardienne des lieux, depuis qu’elle a mis en vente, oh paradoxe, retrouve le chemin du parc. Soudain, ce qu’elle y fait se perçoit, embellit, recrée le jardin. Elle ose enfin trancher dans le vif, de nouvelles issues se font jour, des perspectives apparaissent, un nouveau jardin nait des jungles anciennes. Autant dire qu’il y a là matière à réflexion. C’est dit, ma collègue n’ira pas seule au salon du livre dans un an.
Et nous, nous faisons des ponctions.
Une pleine voiture break samedi, un fourgon 15 m2 aujourd’hui. Et malgré cela, notre passage, est invisible. Nous aurons bientôt dépassé la capacité raisonnable (eh oui, de cette expérience j’ai appris la raison) d’accueil du jardin atlantique que l’autre se sera à peine délesté.
Dès demain, dans la terre réabreuvée, d’énormes trous vont ouvrir sous le ciel venteux. Le ruisseau de nouveau, rigole,
les branchages sont devenus paillage.
Le vallon peut poursuivre sa mutation.