PAUVRE PETIT BONHOMME
Je suis en train de prendre un de mes rares bains de l’année que je me suis sans doute accordé pour célébrer en douceur aqueuse une journée au jardin, chichement concédée par un fugace retrait de la pluie et des vents. Je suis dans la nonchalance de l’attente, Vladimir travaille à Quimper et moi, je suis à la maison, une manière de négatif photographique de la vie habituelle. Le téléphone sonne, je bondis hors de l’eau, traverse et inonde le plancher de la mezzanine pour rejoindre la chambre. Je peux difficilement me résoudre à laisser un téléphone sonner.
C’est un appel au secours. On me demande de venir sans trop s’embarrasser des circonvolutions d’usage de la politesse. A cela j’en reconnais le caractère pressant. Je trouverai plus tard un message sur le portable, puis un message via Internet. C’était la troisième tentative. « Je suis perdu, » me dit-on.
La voix au bout du fil, tente de justifier sa requête, d’une étrange manière : « Un jour tu m’avais dit que comme tu es homo, certains hétéros font appel à toi, pour ce genre de choses. » J’ai souri intérieurement, malgré le ton dramatique de mon interlocuteur. Et j’ai tourné l’argument dans ma tête. J’ai finalement compris que c’était là un effet de cette pudeur toute masculine dont il me sembla être ce soir plus que jamais l’incarnation. Ma prétendue aptitude à lui prêter mon oreille était une raison sans doute plus facile à invoquer que le désir de parler à un ami.
Je parcours alors une trentaine de kilomètres pour trouver le complice d’une relation d’ordinaire joviale et légère, épuisé de trois nuits sans sommeils et de deux jours sans pouvoir avaler un morceau. La face sombre dévoilée sans ambages. Une face sombre que nous avons et cachons tous mais qui me semble atteindre là une extension insoupçonnée.
En arguant de mon homosexualité au fond, il avait en quelque sorte mis la clef en tête de portée, il m’avait imposé une posture dont je ne parviens pas vraiment à me défaire. J’entends bien qu’il n’aurait pas parlé ainsi à une femme. Pas plus à un mec. Le statut qu’il me donne lui permet de lever la carapace. De se montrer fragile. Pauvres petits bonhommes encore malades aujourd’hui de modèles imposés.
Je lui rappelle les phrases de bravades que le l’ai souvent entendu proférer. Du vent, confie-t-il, avant de se lancer dans une phrase que beaucoup de personnes aimeraient entendre de ceux qui les aiment. Dommage que ce soit moi en soit témoin.
Les hommes en détresse ressemblent tant à des petits garçons qui promettent de mieux faire comme un écolier à sa maîtresse.
Il me dit cent choses mais je devine aisément qu’une seule d’entre elles le met en cet état.
Moi, dont le corps, autrefois, a eu si mal des paroles impossibles, je n’ai qu’un évangile et je ne peux que le brandir de nouveau : parle !
« Pose la question qui te mine. »
« Je ne veux pas paraître inquisiteur. »
« Je ne vois pas un inquisiteur, mais quelqu’un qui souffre. Pose la question parce que la réponse t’importe au plus haut point, c’est une bonne raison, non ? »
Le soir même, je reçois un courriel. Il a posé la question et la réponse fut celle qu’il espérait entendre.
Le lendemain, la porte de mon bureau s’ouvre furtivement et c’est la tête de celle qu’on questionna qui apparait, et me lance « merci » avant de disparaitre aussitôt.