OPTIMISME VOLONTARISTE
Je remarque en lisant un commentaire chez Lancelot et les réactions qu’il génère que mon ressenti est toujours en inadéquation avec l’expression d’un noir pessimisme sur la société humaine et son devenir. Je parle de l’existence ou non d’un progrès moral, si tant est que je puisse le définir, prisonnier que je suis de mes propres valeurs héritées de mon milieu, de la religion dans laquelle j’ai été élevé bien que délaissée depuis, des personnes (ou personnalités) qui ont pu influer ma façon de penser, fort peut-être aussi de quelques autres que je me suis appropriées en conscience. J’utilise à dessein pourtant ce pompeux terme pour exclure d’emblée de mon propos l’aspect matériel de l’évolution humaine pour laquelle mon optimisme est moins vaillant. L’homo politicus semble en effet avoir oublié les capacités de ses ancêtres à prendre des décisions à long terme dont les fruits post-scrutin ne l’intéressent pas. Certains chênes plantés sous Colbert pour la marine de l’an 2000 et arrivés à maturité sont là pour témoigner de ce changement.
Affirmer l’absence de progrès c’est au fond accréditer l’adage qui dit « rien de nouveau sous le soleil » et ferait de l’histoire un perpétuel recommencement. Si tel était le cas, nul besoin ne serait des historiens pour comprendre le passé, le risque d’anachronisme n’existerait pas. La route est étroite qui s’offre à l’historien entre l’obligation où il se trouve d’interpréter le passé à la lumière de ce que font ses contemporain – l’homme est l’homme – et le risque d’assimiler ces derniers à leur ancêtres.
Malgré les disparités qui règnent à travers le monde, je crois en une progression, tout en la sachant non linéaire et marquée des dents de scie des reculades. L’horreur du nazisme a pu faire dire que le siècle dernier fut le pire de l’histoire humaine, ce qui entame fâcheusement l’idée du progrès de l’humanité. Et la moindre image qui me parvient de cette chose innommable n’est pas loin de me le faire penser aussi. Mais mon optimisme, parfois un peu volontariste certes, me fait penser que le progrès technologique et logistique a agi en caisse de résonnance et a donné une ampleur inouïe à une monstruosité que d’autres, en d’autres temps, s’ils en avaient eu les moyens, auraient égalée. L’homme n’est pas plus fou mais sa folie est de plus en plus dangereuse.
Il me semble néanmoins que la vie humaine n’a jamais eu tant de valeur dans nos sociétés, que le meurtre est de moins en moins impuni ou considéré par la majorité comme un moyen comme un autre de parvenir à ses fins. Je crois qu’il y a là des progrès qui se sont ancrés dans les consciences et ne sont pas juste dans l’air du temps. J’imagine aussi, mais avec peine, dans le même ordre d’idées, que quand ma mère était une jeune adulte, elle n’avait pas le droit de vote.
Et, puisque le texte qui avait suscité le commentaire pessimiste parlait d’un crime potentiellement homophobe, on ne peut ignorer les progrès dans ce domaine, qui me sont cette fois contemporains – et ont presque curieusement accompagné ma propre évolution – et que je peux donc plus facilement mesurer. Je vis ouvertement en tant qu’homo, j’habite dans une bourgade de moins de 1000 âmes, et je n’ai jamais rencontré, dans aucun contexte, de réaction hostile. Qu’il y ait parfois de l’hypocrisie, nul doute. Mais le dissimulateur, en un sens, montre par là même qu’il n’est plus trop sûr de lui. On me rétorquera aussi que l’homophobie persiste, parfois très violente. Il est assez classique que la réaction s’intensifie dans les moments de progrès social. Mais surtout, y a-t-il réellement intensification ? Ne nous rapporte-t-on pas des faits qui, auparavant, passaient inaperçus, faisant ainsi un effet de loupe ? Et si on en fait les titres des journaux, n’est-ce pas parce qu’ils paraissent moins acceptables ?
Je ne rassemble là que des faits bien connus, mais, mis bout à bout, ils me portent à un certain optimiste qui ne m’aveugle nullement sur la condition humaine. L’homme a perdu son paradis en gagnant sa liberté, source du meilleur et du pire, mais le meilleur pourrait-il exister sans le pire, le blanc sans le noir. Alors, les taches d’ombre sont sans doute un mal nécessaire.