FINES - HARZOU - BORDERS
Je n’avais jamais passé de frontières. Jamais vu, cette chose forcément invisible et dont l’immatérialité alimente pourtant le pire de l’histoire humaine depuis sans doute ses origines. Les frontières britanniques, quoique plus contrôlées que les autres, sont des avant-postes, à Roscoff ou à la Gare du Nord, impossible de voir l’invisible ligne. Quant à l’Allemagne, je m’y rendis par le train qui galopa sur l’arbitraire à vitesse tegévesque…
La première fois que mes pieds franchirent la frontière espagnole, qui délimite deux états, mais pas toujours deux pays, on le sait, c’était dans la configuration la plus romanesque qui soit. Sur la crête d’une montagne. On se plait alors à imaginer les contrebandiers d’autrefois, les chercheurs d’asile, franchir en ces lieux désolés, à l’abri des regards controleurs, une virtualité qui signifiait beaucoup pour eux. Le pic du Taillon n’est accessible aux marcheurs, de toute façon, que sur son flanc « espagnol ». A un moment, je m’assois sur un tas de cailloux et décrète que je suis en Espagne, alors que Vladimir, grand friand d’Ibérie, n’y est pas encore. Na !
Une petite chose me frappe néanmoins qui ne prendra corps dans mon esprit que plus tard.
Une autre fois, une ballade nous mène de nouveau aux portes de l’Espagne, mais cette fois franchies par une vraie route, au sommet d’un col. Les installations d’autrefois sont encore là qui symbolisent le passage. Le même petit détail me frappe que j’attribue encore à mon imagination avant l’éloquente confirmation à venir. Mais l’élément le plus coquasse est ailleurs. De part et d’autre de la frontière, un bar, tout proche l’un de l’autre en somme. Mais les enseignes sont de langues différentes. Et puis surtout, les voitures garées le long de la route et sur les parkings. Du côté français les « E » dominent aux plaques d’immatriculation, du côté espagnol, ce sont les « F ». Comme si les promeneurs de l’un et l’autre côté, trouvait plus amusant d’aller prendre leur rafraîchissement en face ! Et nous faisons de même.
La troisième fois, nous franchissions un autre col, non loin de Roncevaux, pour aller séjourner réellement en Espagne. Ayant obliqué vers l’ouest, nous nous trouvions cette fois en pays basque. Habitué que je suis aux « degemer mat » à tout crin, je m’étonne que rien ne vienne nous signaler le changement de pays, si ce n’est l’apparition des panneaux bilingues. Le caractère verdoyant de l’Euskadi du Nord me surprend presque, alors que je savais qu’il connait la plus forte pluviométrie de l’hexagone. Au franchissement du col, cette vague remarque que je m’étais faite deux fois déjà, prend tout son sens. Une fois franchie la frontière de l’état espagnol, l’aridité règne en maîtresse. Je n’arrivais pas à me résoudre à ce qu’une ligne imaginaire corresponde aussi bien à un cliché et soudain mes notions de géographie climatique me reviennent en force. Il semble qu’on ait choisi pour frontière la ligne de crête des Pyrénées, massif fort linéaire par ailleurs. Or cette barrière rocheuse est orientée Est-Ouest. Les nuages du nord, forcés à prendre de l’altitude, se déversent sur le flanc septentrional sous l’effet de la diminution de la pression atmosphérique qui diminue d’autant la capacité de rétention en eau des nuages. Le flanc sud lui, reste sec. C’est ainsi que cette frontière, si on peut la contester par endroit d’un point de vue géopolitique, l’est assurément d’un point de vue climatique et donc végétal.
Dernier détail, à aucun de ces postes frontières, à l’aller comme au retour, je n’ai vu le nom du pays dans lequel on entrait ! Etonnant pour moi qui suis habitué, lorsque je rentre à la maison à cette succession qui me mène du général au particulier : Degemer mat e Breizh, degemer mat e Penn ar Bed, degemer mat er C’hab, degemer mat e P.* Ca doit être une coutume bretonne !
*Bienvenue en Bretagne, dans le Finistère, dans le cap, à P.