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EN ALAN AR MEURVOR
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10 juin 2008

LES DOIGTS D'EVE (4)

skeudenn_Eve1

31 mai 2008

Audierne ? Connaissez-vous Audierne ? Le hasard ne vous conduit pas là-bas, n’est-ce pas ? Sauf à y faire escale sur la route de la Pointe du Raz, qui draine, paraît-il, des bataillons entiers d’excursionnistes des temps modernes. Je n’y suis même pas allée. Comment aurais-je fait ? Audierne. Je ne crois pas avoir entendu ce nom auparavant. Vous connaissez ma faible appétence pour les pays nordiques…

            … Boris habite à Audierne. Quoi de plus étranger à mon destin que cet échouage au bout du monde ? Quoi de plus infidèle à mon cheminement que cette rencontre avec Boris ? Il me dit avoir dix-neuf ans, n’en a-t-il pas plutôt dix-sept ? Audierne me laisse dans un océan d’interrogations.

            Il semble qu’il y ait des attractions auxquelles il serait vain de résister. Je dialogue avec Boris depuis plusieurs mois. Je n’en avais soufflé mot ici. Le désir mutuel est rapidement devenu palpable et l’unique objet de nos échanges verbaux. Encore aujourd’hui, j’ignore sur quoi il se fondait. Mais il était là, entre nous, d’une incroyable densité, pesant comme la touffeur moite de l’orage qui s’annonce.

            J’ai trop vécu pour faire semblant de ne pas reconnaître les illusions pour ce qu’elles sont, pour rester trop longtemps me repaître d’un mirage. Mais lui, si jeune ? Savait-il seulement ce que sont les chimères ?

            J’ai décidé de briser le sortilège, pour lui. La nouvelle de ma visite prochaine l’enfiévra. Je m’évertuai à jouer les oiseaux de mauvais augure, mais rien n’y fit. Sa foi était inébranlable.

            Je pris le train avec la ferme intention de le sauver de lui-même, mais lorsque je m’étais préparée, ce matin là, et que je me regardai dans le miroir, je constatai, effarée, que je m’étais faite belle, très belle. Refusais-je l’issue funeste que j’avais moi-même programmée à cette histoire ?

            La question me tarauda tout au long du voyage. Mon défunt mari n’avait pas été mon premier amant, bien qu’il fût le plus durable. Je ne crois pas être de ces femmes – je dis femme dans l’ignorance de ce qui se trame dans la tête d’un homme, mais je suppose que çà n’est pas si différent – qui vivent une séparation ou même la disparition du conjoint comme une seconde jeunesse, comme un retour inespéré de liberté. J’ai connu quelques hommes depuis la mort de Serge, mais je n’ai témoigné d’aucune frénésie à faire des rencontres masculines. Quelques rares occasions se sont présentées. Je les ai saisies, voila tout. Mais, repensant à ma jeunesse, il m’apparut qu’il y avait eu plus de convergences intellectuelles que physiques. Non qu’on ne me désira point, non que je ne désirai point, ni ne connu l’assouvissement de mes désirs, mais j’étais cette jeune femme que l’on veut conquérir pour l’ensemble de son être, avec une détermination raisonnable. Je prenais soudain conscience, à fouiller ma mémoire, que j’avais été frustrée de désir brut et immédiat, irréfléchi, animal. Au risque de choquer certaines d’entre vous, il me sembla, dans ces moments de réminiscence, que j’aurais voulu, ne serait-ce qu’une fois, être un pur objet sexuel. Oui, un objet aux seuls contours désirables, enfin dénudée, déshabillée de ce charme qu’on me prêtait si souvent, qu’on m’enviait même parfois et qui, à mes yeux, à y repenser, me faisait de l’ombre. J’aurais voulu aborder le désir avec cette légèreté d’une tiède brise estivale qui me fit toujours défaut.

            Audierne. La couleur de l’eau dans le bassin du port, en cette belle journée de fin mai, me fit l’effet d’un présage, d’un signe annonciateur. Il y avait dans ce turquoise, que je ne concevais que tropical, comme une couleur de virginité du monde, de promesse de renouveau. Je me sentis sur le seuil d’un futur radieux qu’en d’autres temps, en d’autre lieux, je n’aurais crû pouvoir être que romanesque. Il semblait que le destin avait voulu que je me fisse belle, ce matin là.

            Suivant les indications de Boris, je ne tardai pas à m’engager dans un dédale de ruelles, pittoresques mais sans fard, qui contrastaient étrangement avec la ville portuaire que je venais de quitter. Les bruits des terrasses des cafés, du grand axe touristique déjà pullulant de voitures, s’étaient évanouis en un instant et le quartier désert mais d’allure riante, semblait tourner le dos à la vraie vie et se replier dans une enceinte imaginaire qui protégeait du malheur. Ici les venelles étaient escaliers, les potées fleuries empiétaient sans vergogne sur l’espace public, une femme déversait au milieu des pavés une bassine d’eau savonneuse et à la faveur de cette douceur du climat que je n’espérais pas, de la lumière crue qui rendait les maisons blanchies presqu’insoutenables à l’œil, je me serais crue déambulant dans un village d’une de ces îles grecques qui me sont si chères.

            L’air était chargé – non, les parfums, au contraire, confèrent à l’air une légèreté qui ne se mesure qu’au baromètre de l’allégresse – l’air était allégé, donc, de la fragrance suave des lilas, qui desserrait un peu plus encore, les derniers freins que l’on met à son accomplissement.

            Etais-je arrivée plus tôt qu’il ne l’avait escompté ? Je le vis, par la porte-fenêtre grand-ouverte, finir de se vêtir sans pudeur dans le clair obscur de sa maisonnette. Il avait sans doute enfilé les premiers habits qui lui étaient tombés sous la main, négligemment et achevait de boutonner sa chemisette sur un torse imberbe, déjà dessiné. Déjà un homme, beau sans y prendre garde, que c’en était provocation. Etait-ce cela, la jeunesse, belle dans le moindre jean vite passé, étourdissante d’élégance dans une chemise de quatre sous ? Etait-ce cette image d’un jeune homme s’habillant dans la précipitation, dans la hâte de retrouver sa nouvelle conquête, qui aurait été moi,  sûr de lui au point de délaisser le peigne et le coup d’œil dans le miroir, qui m’avait tant manqué au point de laisser un vide béant ? Sa jeunesse se mesurait à sa tenue négligée et à cet instant je ne désirais rien d’autre que de faire l’amour avec lui tout en regrettant de devoir le dénuder de l’oriflamme de son insouciance que je savais seule éphémère.

            Lorsque nous nous réveillâmes de l’engourdissement des sens, Boris tourna vers moi son regard de cristal et me dit, avec son accent russe :

            « C’était trop bon. La première fois, pour moi. »

            

            Après l’avoir regardé longtemps, et recueilli dans ses yeux l’assentiment pour ce que j’allais formuler et qu’il devina, je lui répondis :

            « Je crains que la mer ne soit plus jamais aussi turquoise ici. Faisons en sorte que ce soit la dernière fois ».

Posté par Eve à 15:24         commentaires (8)   - Permalien [#]

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Commentaires
K
Pas trouvé ce qu'il fallait trouver...Snif
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K
Cornus > ΜΑΙΣ ΚΑΝΔ ΤΥ ΦΕΥ, ΚΟΡΝΥΣ ΡΗΨ ΠΩΠΥΛΙ !
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C
Non contente de crypter le fond, voilà que Kleger crypte ses alphabets. Tout cela se paiera au prix fort, et c'est moi qui le dit !
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K
МЕРСЙ ВРАС ПОУР ЛЕ ПОРТРАЙТ . ВОРЙС ТРИС КОНТЕНТ.
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K
Le talent, Cornus, Le talent ! Mais aussi l'imagination, l'observation et l'analyse ! Et probablement bien d'autres choses encore.
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