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EN ALAN AR MEURVOR
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16 mai 2008

NIVEAUX DE LANGUE

Je m’attendais à ne pas voir un chat mais il y avait quelques personnes. Un public plutôt inattendu, dirais-je. Le directeur du centre culturel était bien sûr présent et m’avait invité à dîner à l’issue. La documentaliste semblait aussi être restée dans le cadre de ses fonctions. L’organisateur du festival de théâtre était présent également, il m’expliqua être resté m’écouter pour comprendre pourquoi l’article qui vient de m’être consacré dans le mensuel breton était titré « Iliz-veur al lennegezh ». Ma curiosité aurait en effet été piquée à moins.

Le « vrai » public était constitué exclusivement, mise à part une lectrice de ce blog qui me fit la gentillesse d’être des nôtres, de bretonnants « traditionnels » (native speakers) peu aguerris à la langue littéraire dont j’estimai d’emblée qu’aucun d’entre eux ne pouvait raisonnablement envisager avaler les 280 pages du roman. En conséquence, il m’apparut évident qu’aucun n’avait lu le livre et que mon intervention s’annonçait être un monologue (non préparé) dans un langage et une forme qui devait à la fois rendre la chose attrayante tout en décourageant les auditeurs d’acquérir le bouquin. Je pris conscience alors qu’il y avait longtemps que je n’avais évolué dans ce milieu linguistique qui m’interdisait tout un pan de mon vocabulaire. Ce fut, au fond, un bel exercice de pédagogie, dont je ne crois pas m’être trop mal sorti. J’étais vaguement gêné, à ma droite, par la présence inattendue d’un personnage dont je me demandai ce qu’il faisait là et dont je me rendis compte, à l’occasion, que je craignais toujours le jugement à devoir parler breton devant lui. Mes sentiments à son égard sont surtout très ambigus. Il y a très certainement de la reconnaissance pour le soutien qu’il m’a apporté il y a bien longtemps alors qu’il en aurait cassé bien d’autres à ma place, de la conscience de la dette linguistique envers lui (mais beaucoup de bretonnants la partagent) mêlée à une furieuse envie de fuir lorsqu’il parait. Fuir le souvenir de cette relation étrange qu’il voulait instaurer entre nous, faire de moi un fils qui aurait remplacé sa fille qui s’était donné la mort quelques années auparavant, mais faire de moi son amant aussi. Le jeune homme de 26 ans que j’étais feignait l’incompréhension, n’entendait jamais les allusions sexuelles, ne voyait pas ses gestes déplacés. Y compris le jour où monsieur fit mine de se branler, dans mon jardin, à trente mètres de la maison où était restée ma femme. Un an auparavant, jour pour jour, j’étais au même endroit pour parler de Par Dibar. Il n’avait osé paraître ce jour là ! Je finis par lui signer un exemplaire, sachant qu’il aura peine à le lire et ce paradoxe me serre le ventre. Etre difficile d’abord pour quelqu’un qui, forcément, connait mieux cette langue que moi ! J’éprouve une forme de honte à tout cela.

Je scrute les regards, vérifie à chaque instant, à chaque cillement des yeux, que le propos passe. Est présente aussi, la compagne du directeur à la scène (et non à la ville, hi !hi !). Autre dialecte, autre terroir. Elle viendra me voir à la fin pour me dire qu’elle me comprenait bien, que çà n’était pas tout à fait le « même breton » mais qu’elle suivait bien. Et une autre dédicace.

Je ne suis pas mécontent au fond de cette petite secousse qui mit à l’épreuve ma capacité d’adaptation.

J’avais bien mérité mon repas basque au frais de la princesse.

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Commentaires
C
Ni Dieu ni Maître, c'est vrai. J'ai utilisé ce mot pour son côté pratique et essentiellement pour ce qui me concerne. Moi-même, je n'ai pas eu UN maître, mais plusieurs. En fait, beaucoup trop pour que l'on puisse leur accorder ce qualificatif. Il vaut mieux parler de "rencontres enrichissantes".<br /> Les hasards du calendrier sont nombreux. J'ai lu ton texte ce matin avant d'apprendre ce que j'évoque chez moi. Que de """maîtres""" en compétition !
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K
J'avais mis des guillemets exprès (j'ai failli en mettre des doubles parce que je m'attendais à cette réponse !!!) Et par ailleurs, disons que je faisais une petite extrapolation, ou une généralisation, comme on veut ...
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K
Cornus & Kleger> Je n'ai jamais considéré la personne en question comme un "maître", loin s'en faut, ni quiconque d'ailleurs dans ma vie. Juste une crainte vague d'être jugé, c'est différent. Par ailleurs je n'ai jamais laissé la personne me serrer de près. J'étais quelqu'un d'assez décourageant dans ce domaine (même lorsque j'aurais voulu être necourageant, ce qui n'était pas le cas).<br /> Oui, c'était bon, mais je connaissais, c'était mon trosiième passage là bas.
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K
Oui, mais on a pas forcément été serré de près par le "maître". Ca change tout, non ?
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C
Cette histoire m'en rappelle une que j'ai plus ou moins racontée chez moi il y a plus d'un an : la trouille de se faire juger par le maître lors d'une prestation en public.
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