Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
EN ALAN AR MEURVOR
EN ALAN AR MEURVOR
Publicité
Derniers commentaires
Archives
11 décembre 2007

LE ROC (2)

arroc_h

Exceptionnellement, cet hiver là, les tempêtes s’étant succédées à un rythme effrayant et le phare d’Ar Roc’h ayant subi des dommages qui mettaient en péril son bon fonctionnement, l’administration avait requis un troisième gardien de service à la tour pour que chacun dispose de temps supplémentaire à consacrer aux réparations nécessaires. Le vapeur, temps permettant, approchait la tour chaque semaine pour relever l’un des hommes, à l’issue de ses deux semaines, cloîtré par les flots. Les deux collègues restants pouvant donc manœuvrer le treuil, c’est le gardien descendant qui inaugurait la relève, fait exceptionnel. J’eus ainsi tout le loisir d’observer la descente de celui que je devais remplacer. Je crois que le « Reder mor », notre vapeur, était ce jour là aux limites de ses possibilités de navigation et que seule l’adresse du commandant nous maintenait à flanc de vague. Ce dernier avait longuement hésité, le matin, avant d’entreprendre le voyage. Je crus comprendre de la conversation qui ne m’était pas adressée qu’il aurait pris la mer assez confiant malgré le fort clapot pour tout autre phare, mais qu’Ar Roc’h demandait un surcroit de vigilance. Le caillou était pervers, disait-il encore, et avait envoyé de par le fond plus d’un  matelot présomptueux. Je comprenais mal ce que ce regard scrutateur dont il parcourait le magma d’émeraude conférerait de plus à sa conviction. L’étendue n’était pour moi, malgré sa magnificence, qu’un chaos liquide et je ne concevais pas qu’on puisse tirer quelque chose de ce désordre. Pourquoi diable avais-je choisi ce métier.

            De creux en crêtes de vagues, l’étrave parcourait plusieurs mètres, à vouloir manger le ciel, aurait-on dit.  Au gré des courants violents, le navire se rapprochait parfois brusquement de la tour, détendant le filon où était suspendu le gardien, assis sur son misérable « bouchon ». Celui-ci se retrouvait dangereusement proche des flots qui menaçaient à tout instant de le submerger. Le vapeur faisait alors arrière toute pour retendre in extremis le câble de ce téléphérique de fortune. Je vis soudain Dany, le gardien descendant, sauter du bouchon sur le pont, après avoir brièvement estimé la position de ce dernier quand ses pieds y atterriraient. Alors, sans mot dire, l’équipage se tourna vers moi dans un geste routinier pour me signifier mon tour, feignant d’oublier que c’était mon baptême. Je mis toute mon énergie à m’oublier moi-même, à n’être qu’une masse qui s’élançait, qu’un mobile en proie aux éléments. L’ascension se passa sans encombre mais je ne pus retenir mes paupières qui s’abattaient sur mes yeux pour me masquer la menace des vertes murailles qui m’encadraient.

            Dès que mes pieds se posèrent sur le parapet de la terrasse inférieure, je me sentis scruté, jaugé, déshabillé du regard de mes désormais co gardiens, à tel point que l’enfer marin que je venais de traverser m’eut été refuge. Les deux hommes avaient autour de trente cinq ans et semblaient bâtis du même granit que le phare, ils représentaient tout ce que je craignais le plus mais, sans pouvoir ne rien y faire, je fus pris de ce tourbillonnement des sens que j’étais venu fuir ici et qui me portait irrémédiablement à les désirer.

(à suivre)

Publicité
Publicité
Commentaires
K
C'est pas ce que je voulais dire... J'y ai vu un sénario imprégné d'un autre, c'est tout ! ;-)
Répondre
K
Krid> Non, cet homme n'a rien à voir avec Karagar! Vraiment!
Répondre
K
Il est vrai que le (2) éclaire le (1)... Il me fait penser à un film, où Karagar se serait glisser dans la peau d'un étrange gardien de phare au passé mystérieux... J'attends la suite !
Répondre
K
Ben oui, étrange peut-être. Je viens de la relire et évidemment elle s'éclaire de la seconde, mais objectivement et irrémédiablement, à la lire seule, elle est hermétique ! Il y a un homme et des éléments, de l'eau et de la pierre, et on se doute bien qu'il y a un affrontement dans sa tête, mais lequel, that is the question...<br /> Mais je veux savoir pourquoi, hein, moi ! j'insiste ! (lourdement peut-être)
Répondre
K
A Cornus et Kleger> C'est étrange que la première partie vous ait parue si hermétique!
Répondre
Publicité