VACANCES NORD IBERIQUES : PULCHRA LEONINA
La raison de notre retour à León, hormis le fait que la ville nous avait déjà semblé bien sympathique à l'époque, c'était bien sûr, pour moi, de revoir la cathédrale, la belle léonaise/la belle lionne, telle qu'elle est ici surnommée par jeu de mots.
Cela fait plus de quinze ans qu’en compagnie de Vladimir je sillonne l’Europe des cathédrales et par voie de conséquence, j’ai vu certaines d’entre elles il y a fort longtemps. Et je commence à ressentir l’envie d’en revoir quelques-unes. Mes préférées, sans aucun doute, mais aussi, parmi celles-ci, certaines que j’estime avoir vu trop tôt ou trop mal. D’autres encore, et ce sont souvent les mêmes, parce que les photos prises alors me font honte. Il y avait deux noms qui surnageaient dans le lot: Lincoln et Léon.
Léon entre sans ambiguïté dans deux catégories : les mal vues et les mal photographiées. Mal vue car coupée en deux dans le sens de la hauteur par un échafaudage, qui, c’est incroyable, était toujours là, treize ans après, mais fort heureusement uniquement sur la première travée de la nef. Seule la rose ouest, et sa vitrerie ancienne, me furent confisquées. Mal photographiée pour les mêmes raisons mais aussi en raison de mon équipement d’alors (dont j’ai oublié la nature, mais le résultat n’est pas fameux, disons par euphémisme).
J'espérais surtout que, débarrassée de ses échafaudages, elle me procure le grand frisson que promet son architecture exquise et que seules quelques cathédrales m'ont donné.
Quand on parle de la cathédrale de Léon, on met deux faits distinctifs en exergue que je vais reprendre ici :
- Question chiffres, ce n’est ni sa taille, moyenne, ni sa hauteur, moyenne, qui sont mis en avant, mais sa surface vitrée. Avec 1800 m2, elle serait la troisième d’Europe après Chartres et Metz. Cela me semblait un peu douteux. Metz « la lanterne de Dieu » est incontestablement, au vu de sa structure, la championne toute catégorie. Mais Saint Denis, Troyes, pourtant très proches en taille et fenestrage, n'étaient pas citées, d’où mon incompréhension. Alors peut-être fallait-il comprendre un peu différemment cette assertion: l’une des plus grandes surfaces de vitraux anciens ou classés. Troyes, en effet, n’a « que » 1500 m2 de vitraux médiévaux et Saint Denis, quelques baies fort restaurées. Sous cet angle, notre espagnole est en effet bien lotie et de fait, l'ambiance de León tient beaucoup à la qualité particulière de la lumière qui la baigne.
- Le fait majeur est que la cathédrale est considérée, à juste titre, comme singulière dans son pays. Elle est la seule dont le parti est clairement français. Français, il faut bien sûr l’entendre au sens médiéval de « terres de langue d’oïl » : le domaine royal et ses zones d’influence culturelle. Alors, me direz-vous, le gothique vient de toute façon de France et à l’époque où l’on construit León, il a été introduit en Ibérie depuis assez longtemps. L’influence de la cathédrale de Bourges y avait été importante – elle qui a fait si peu d’émules dans son pays – et le gothique ibérique avait ensuite développé des caractères propres. Mais León ne ressemble en rien à ses consœurs… Alors, bien sûr, me direz-vous, tous les pays voisins de la France, après avoir développé leur propre version du gothique, ont fait quelques fanfaronnants retours aux sources de l’opus francigenum pour des édifices prestigieux (Cologne, Westminster, Aix la Chapelle…), avec plus ou moins de fidélité aux modèles. Et ces édifices, pour beaucoup, je les ai vus et regardés avec intérêt. Mais voilà, aucun d’entre eux ne m’a fait l’effet de León. La cathédrale de León n’est pas une cathédrale clin d’œil, elle est complètement, à 100 %, une cathédrale du nord de la France. Seuls, le toit plat et le mobilier intérieur trahissent sa vraie localisation. Entrer dans la cathédrale de León après avoir traversé une ville espagnole, c’est prendre un jet sans effet carbone ! C’est même plus bluffant que ça en fait: entrer dans la cathédrale de León, c’est se retrouver dans la basilique royale de Saint Denis, ni plus ni moins, car c'est elle qu'elle imite globalement. Entrer dans Saint Denis donc, mais Saint Denis qui aurait conservé ses vitraux médiévaux ! Et vous pourrez en juger: maîtrisant un peu mieux qu'avant le traitement des photos de vitraux je m'en suis donné à cœur joie. Vous êtes prévenus!
L'architecte d'origine est sans doute français, une telle orthodoxie serait sans cela peu probable, mais la copie conforme n'existe jamais dans le domaine artistique et c'est tant mieux. Là encore deux faits saillants :
- Saint Denis est la phase finale de l'évolution gothique vers l'uniformisation/hiérarchisation de l'espace, en lien avec les conceptions théologiques et philosophiques de l'époque. Le génie de l'architecte de León est d'avoir discrètement introduit un élément "déstabilisateur" dans un schéma dont la perfection semblait interdire la fantaisie : les fenêtres hautes sont rétrécies par deux lancettes supplémentaires qui se répercutent dans le triforium qui n'est plus constitué de quatre lancettes égales mais de deux larges, légérement en retrait, et deux étroites. Légère discontinuité rythmique donc ou encore petite note discrète qui fait basculer la tonalité d'une mélodie.
- Mais l'architecte n'hésite pas à utiliser des canevas déjà surannés pour le plaisir de l'hommage et de la citation. En effet, quelle surprise de voir aux bras du transept des roses inattendues. A Saint Denis, les grandes roses sont rayonnantes, en adéquation parfaite avec le style des autres fenêtres, - elles sont peut-être les premières d'un genre promis à un succès pan-européen et durable et aussi l'exact modèle de celles, amplifiées, de Notre Dame de Paris. Or à León, que voit-on. Des roses au schéma beaucoup moins évolué : le dessin est celui (affiné) des roses de Chartres ! Et voila qui donne une clé de compréhension : les trois portails ouest et leur portique (un peu maladroit), ainsi que la présence de six autres portails monumentaux au sud et au nord, les piles du choeur et de la nef, du style1200-1220 et non du style de Saint Denis, évoquent évidemment Chartres ou Reims, modèle dépassé alors, les tours avortées au transept évoquent la cathédrale ultime jamais menée à bien et esquissée à Laon, Chartres et Reims. On le voit, et les exemples médiévaux sont légions, dans l'architecture à l'instar de la littérature ou de la musique, on cite, on plagie, on fait des renvois, en dépit de la mode du moment. Et l'évocation est ici claire : le domaine royal français, lieu de prestige par excellence au XIIIème siècle.
La cathédrale de León a menacé de s'écrouler. La rançon de l'évidement extrême, lit-on parfois, alors que ses modèles n'ont eu aucun souci de stabilité. Problème de conception, de fondations instables? Plusieurs facteurs sans doute. On parle aussi de la piètre qualité de la pierre. Et le fait est que, même à l'intérieur, en général peu sujet à l'usure du temps, cette mauvaise qualité saute aux yeux. La pierre y montre une surface indécise, le trait du ciseau y semble moins net. Cela n'entrave pas la beauté générale des lignes mais un regard habitué a la perfection de la modénature gothique y achoppe.
Alors le résultat de tout çà est que j'ai connu cette grâce assez rare dans le vaisseau léonin. Se croire à Saint Denis, et puis graduellement, repérer les nuances et goûter la lumière médiévale des vitraux.
Bon je me suis un peu lâché question photos, mais comme je vous l'ai dit, j'avais une revanche à prendre. Et puis, c'est un peu toujours la même chose sous de multiples angles, pour vous donnez un peu l'illusion d'y être.
vue corentinienne assez rare
Plus tard dans la soirée
Malgré une insertion des porches dans le portique pas très convainquante, quelques très belles pages de sculpture dans le style francien, couronnement de la Vierge, Christ en majesté, et bien sûr jugement dernier, avec quelques beaux démons et infortunés damnés dont les contorsions répondent jusque dans les voussures à la sérénité des élus. Hélas les grandes statues des piedroits ne sont plus en place. Vous les verrez dans le cloître.
Un petit montage improbable, le choeur vu du portail central.
Entrons
Leon Saint Denis
Vers le transept
Vers le déambulatoire
Choeur et verrières
Les oeuvres sculpturales ne sont pas en reste...
Tombe de Ordoño III, roi du Leon au Xème, édificateur de la première cathédrale.
Tombe de l'évêque Martín "el Zamorano".
Tombe de l 'évêque don Rodrigo Álvarez.
Au nord, le bras du transept ouvre sur un vestibule qui donne sur le cloître. Un seul portail est conservé ici des trois d'origine, mais l'abri des intempéries a sans doute permis de garder les couleurs mises au XVème sur des scultures de la fin du XIIIème. Voir un grand portail avec des couleurs médiévales n'est pas si fréquent...
Le cloître et la face nord de la cathédrale. Ici se trouvent, comme annoncé, les statues en pied des portails ouest.
Et pour finir, la cathédrale, version nocturne...