ENGLAND - CYMRU - LA CATHEDRALE ET LE FLEUVE
(1) Nous quittons la vallée de la Wye pour nous rendre dans le nord du pays de Galles, où nous passerons une semaine. Ce sera notre vrai séjour gallois après quelques incursions préalables. En chemin, nous faisons finalement escale à Worcester (attention à la prononciation), la préférant à la cathédrale du comté où nous étions (Hereford).
Worcester est une cathédrale que je n'avais jamais retenue et l'occasion fit donc le larron. Il reste ici aussi des vestiges de la cathédrale romane mais plus ténus qu'à Gloucester. Sa silhouette est celle de beaucoup de cathédrales de l'ouest: un seule grande tour de croisée. Mais cette fois, contrairement à Gloucester c'est du "full english" comme on le dirait du petit déjeuner, j'entends "la totale", avec grande longueur et deux transepts.
La grande originalité de cette cathédrale, je dirais, c'est son emplacement. A part elle, je n'ai aucune image de cathédrales fluviales en Angleterre, alors qu'en France elles sont plus d'une. Nous retrouvons donc la Severn, (2) plus grand fleuve Anglais devant la Tamise et sa surpopulation en cygnes.
(3,4,5)
(6) De la rive du fleuve, il faut monter pour accèder au niveau de l'église et sa façade. (7)
A ce moment, en contournant l'édifice, je suis pris d'un terrible sentiment de déception. Tout le parement extérieur a été refait au XIXème par Georges Gilbert Scott. La liste de ses constructions néo-gothiques et de ses restaurations est impressionnante. Ce doit être le Viollet Le Duc anglais. En tout cas, la cathédrale ressemble à une imitation sans âme. (8)
Seule la tour de croisée s'en tire, mais elle est authentique... (9)
(10) Une fois n'est pas coutume, notre entrée en matière se fait par le cloître. Un cloître vitré une fois de plus ! Zut. Beaucoup moins photogénique que celui de Gloucester, j'y fais néanmoins une déambulation plus inspirée. (11,12)
Des cloches médiévales sont déposées là. (13)
Sur ce cloître s'ouvre la salle capitulaire. Elle est romane (regardez le premier niveaux avec ses arcatures en quinconces typique du roman (anglo-)normand) bien que ses fenêtres et sa voûte aient été refaites à l'époque gothique. En tout cas, je constate que le plan circulaire ou octogonal de ces salles, si original, précède l'époque gothique. Nouvelle surprise. (14)
Entrée dans la cathédrale, qui s'avère être un véritable livre d'histoire de l'art gothique anglais dont toutes les phases (sauf le perpendiculaire) sont présentes.
Mais avant de détailler, je dirais que la première impression fut aux antipodes de ce que j'avais éprouvé à l'extérieur : un très bel espace.
Je suis séduit par une certaine sobriété : ce que je vois est massivement du XIVème, donc decorated mais une version assez sobre au fond. La voûte elle-même n'est guère complexe et la maçonnerie des ses voûtains (quartiers de voûte) est même assez grossièrement appareillée (alors que le gothique anglais peut être à l'inverse presque métallique dans son traitement dela pierre.) Mais surtout, ce qui me séduit - ce qui est à la base même de mon amour du gothique - ce sont les lignes. Cette nef est très linéaire de part la multiplications des "traits" verticaux, grâce notamment aux piliers très moulurés et épais. J'ai coutume de dire qu'un beau pilier anglais a une section en "petit beurre". Les plus beaux piliers du monde, à mes yeux, sont ceux de Wells, des vrais diamants de l'architecture, dont j'ai eu la fierté de dénicher des avatars dans deux églises bretonnes (Lamballe, St Méen). Dans les photos qui suivent j'ai essayé de "capturer" ce que j'aime tant dans ces piles. (18,19,20)
L'élévation totale apparaît ici, avec un triforium très haut et donc une place assez réduite laissée aux fenêtres à l'arrière du passage mural (j'évoquais cela dans le post précédent pour expliquer la "révolution de Gloucester). (21)
Dans chaque tympan des arcatures du triforium, une figure humaine. En y regardant de plus près, grâce aux photos, je soupçonne notre Viollet Le Duc anglais d'en être l'auteur. Nous n'aurons pas à aller bien loin pour trouver sa source d'inspiration. (22)
A l'approche de la croisée, je retrouve comme la veille, ces arcs-boutants intra-muros, qui assurent la stabilité de la tour centrale. Question : pourquoi les anglais ont-ils eu recours à ce subterfuge alors que les tours de croisée, perchées sur des vaisseaux autrement plus hardis ailleurs, s'en passent allègrement? (mais le clocher du Kreiskêr à St Pol de Léon, a des arcs-boutants secret aussi et des traits... d'architecture anglaise.. ah l'histoire est obstinément questionnante!) (23,24)
Tout pris à l'obervation de mes beaux piliers, je ne me tourne que tardivement vers les deux premières travées occidentales, - revenant sur mes pas en quelque sorte - qui sont peu banales. Elles ne sont plus tout à fait romanes, pas vraiment gothiques. Tiens me dis-je, un style de transition! Et quoi de plus excitant qu'assister à la mue ? Et le triforium est proprement ébouriffant, roman dans sa structure, gothique dans la finesse de ses piédroits et complètement "rococo" avec ses fleurons (de facture toute romane) qui éclatent tels des bubons sur le nu du mur. Je m'étais déjà interrogé sur place. Hier soir, jusque tard, travaillant sur les photos, j'ai de nouveau achoppé sur l'étrangeté de cette élévation. Et ce matin, à l'ouverture des yeux, une image en noir et blanc m'est apparue, une photo de ces deux travées, en même temps que la certitude de savoir dans quel livre je la trouverais, dans un chapitre consacré aux prémices du gothique anglais. Je cours vérifier. Je ne m'étais pas trompé. Je les connaissais donc livresquement. J'y puise la date : 1175 ! Années 70, celles de l'introduction du gothique en Angleterre. CQFD!
(25 : élévation complète - 26 : raccord XIIème/XIVème)
Il est temps de passer au sanctuaire (choeur + petit transept). Cette partie est toute entière en early english, la première phase du gothique, celle qui débute juste après Canterbury et dont les "grandes oeuvres" sont la nef de Lincoln et la cathédrale entière de Salisbury (cas unique d'une cathédrale anglaise bâtie ex nihilo, vite, et donc d'un bout à l'autre dans le même style). Eh bien cette première phase n'est pas tâtonnante mais très très raffinée, voire parfois maniérée : la mouluration et décor muraux à la normande (Cloître du Mont St Michel, Bayeux), les colonnes en délit au devant le la maçonnerie à la bourguignonne (Auxerre, Dijon...), la bichromie et la délicatesse des sculptures - personnages et feuillages - à la saxonne : voila une partie de la recette. Bref, cette partie occidentale de Worcester est un peu un outsider du early, un superbe exemple moins connu. (27)
Elévation : (28) :
Fenêtre haute anglo-normande derrière passage mural (29).
Une forêt de colonnettes (30).
Chapelle à l'extrèmité du bas-côté. (31,32)
L'early english, c'est cette virtuosité des chapiteaux et ce style inimitable des petits personnages (que j'ai retrouvés dans tous les édifices de cette période), ornant culots des colonnes, et triforium (origine des pastiches de Scott sans doute) (33, 34, 35, 36, 37)
Extrémité du sanctuaire (39,40)
Le petit transept est pour moi un chef-d'oeuvre : une cage de lumière dédoublée qui n'est pas sans rappeler, en transposant au carré, les transepts de Noyon en France (premier art gothique). (41)
Partout, dans le transept et le sanctuaire, des arcatures ornent le soubassement des murs et tous les écoinçons des arcades portent des saynètes sculptées, ce qui équivaut bien au foisonnement des portails d'Ile de France.
Transept : (42)
Sanctuaire (visez l'élégance des silhouettes et des drapés) (43, 44, 45)
Cette photo est une évocation de "l'ambiance" des cathédrales anglaises, très "meublées", où tout se perçoit au travers d'autre chose, où tout est mystère... (46)
Tout cela est assis sur une crypte romane assez gigantesque (on ne voit ici qu'une partie) (47)
Je terminerai enfin par celui dont la cathédrale est la sépulture. Je ne le savais pas avant d'y entrer et me trouvai tout surpris de côtoyer un personnage au nom si illustre: Jean d'Angleterre, dit Sans Terre. Il fut enterré ici à sa demande.
Bref, je ne m'attendais pas à de telles richesses dans une cathédrale rencontrée presque par hasard.