VACANCES IBERIQUES 10 : SEGOVIE
De Loarre nous mettons cap au sud pour notre première ville épiscopale : Ségovie. Notre route nous fera traverser une toute petite partie du désert des Bardenas, une des rares zones désertiques de l'ouest européen, dont le relief, là encore, ferait un assez bon décor pour un Western. Nous avions même envisagé une randonnée dans cet endroit, mais ça n'était pas si simple à mettre en place et la perspective de marcher sans ombre sous 40° nous a finalement fait renoncer.
C'est dans le courant de cette année qu'une de mes errances webiennes m'a amené à concocter cet itinéraire cathédralique.,lorsque je constatai que trois cathédrales importantes du gothique ibérique, et qui m'intriguaient par ailleurs, se trouvaient dans un triangle de moins de 150 km de côté.
Ségovie est située sur un promontoire au pied duquel serpente une petite rivière, suffisante pour entretenir une verdure qui donne à la ville des airs d'oasis. C'est d'ailleurs un invariant de tout cet itinéraire, que de parcourir des étendues sans arbres (mais très cultivées grâce aux irrigations mises en place sous Franco), au milieu desquelles les villes font figure d’îlots de végétation. Un peu comme toutes les autres villes que nous visiteront aussi, Ségovie garde de son passé, médiéval surtout, un nombre de monuments effarant. Si bien que visant une cathédrale, on se trouve confronté à des choix cornéliens...
Nous ne visiterons pas l'Alcazar malgré sa silhouette attrayante (qui inspira, dit-on, Walt Disney) et son étonnante disposition en proue de navire, car à la suite d'un incendie au XIXème siècle, l'intérieur est une reconstitution moderne.
La panoplie d'églises romanes est aussi impressionnante. Elles ont presque toutes un élément en commun que je n'ai jamais vu ailleurs : un portique, une sorte « d' atrium » mais qui au lieu de précéder l'édifice comme dans l'art paléochrétien, l'entoure en partie, si bien que l'idée qui m'est venue d'emblée est celle d'un cloître à l'envers. Ces portiques romans parfois tardifs (XIIIème!), toujours très élégants, donnent à des églises parfois modestes, une grande monumentalité.
San Esteban
San Millan
San Martin
Nous avons visité l'église de la Vera Cruz, rotonde bâtie sur le plan du Saint Sépulcre, car le plan centré m’intéresse beaucoup en architecture. Mais la Vera Cruz, malgré une belle masse à l'extérieur, me déçoit, car son espace central est minuscule et communique à peine avec le collatéral, ne permettant aucun des effets, parfois grandioses, que donnent à voir certains de ces édifices.
La cathédrale, nous y voilà enfin, est un vaste édifice qui m'avait attiré essentiellement pour son beau chevet très étagé, dernier avatar de Bourges. C'est une cathédrale entièrement construite au XVIème siècle, - cas presque unique - ce qui vu son style est assez sidérant. Les emprunts à la renaissance qui règne partout alors sont assez peu nombreux (la coupole de la croisée surtout) et ce gothique hyper tardif (comme on en trouve aussi en Bretagne) est maîtrisé, élégant, et plus sobre que l'époque et le pays ne pourraient le faire escompter.
Curieusement, ce qui me frappe en entrant, c'est de percevoir d'emblée l'espace. Dans la plupart des cathédrales espagnoles, même les plus grandes, le mobilier qui cloisonne l'édifice est tellement imposant (et rarement gothique!) qu'il empêche vraiment une vision d'ensemble, ce qui m'a très souvent dérangé. Ici ce mobilier existe mais les vaisseaux sont larges , aérés et aériens, et l'architecture survit à la surcharge du mobilier. Une idée m'est venue que semble confirmer l'architecture de l'abside : cette cathédrale étant très tardive, elle est conçue à une époque où la mode des retables et autres jubés et tribunes géants est bien installée et elle est donc conçue en fonction de cela. L'abside est la plus bizarre que j'ai pu voir : c'est un grand mur plein (qui ne communique même pas avec le déambulatoire), au sommet duquel s'ouvre un rangée de fenêtres minuscules (une sorte d'antithèse du gothique). C'est que sans doute on savait que ce mur nu serait masqué par des retables - toutes les grandes absides gothiques espagnoles sont désormais invisibles, massacrées par des retables immenses si bien que la réussite ou non des partis architecturaux reste celée au regard des amoureux de l'art ogival. C'est donc un parti issu de Bourges : haut vaisseau à deux étages (pas de triforium, mais passage au pied des fenêtres hautes), immenses piliers « à la Bourges », premier bas-côté doté de fenêtres haute mais lui aussi sans triforium : c'est du Bourges hyper allégé.
Je ne résiste pas à la tentation de vous montrer une porte conçue par l'architecte Juan Guas dont je reparlerai plus longuement à Tolède, ainsi qu'un Christ qui illustre bien le sensationalisme dramatique de l'art sacré espagnol qui fait que j'ai parfois du mal à faire abstraction de cette conception très lourde du sacré dans toutes ces églises ibériques.
Il y a bien sûr un cloître...
Et regardez bien cet appartement !
C'était le logis du sonneur de cloche. Toutes ces pièces occupent un niveau de la tour de la cathédrale et ressemblent à un appart presque normal. J'ai souvent imaginé cette possibilité d'aménager ainsi un logis dans une cathédrale mais j'ignorais que cela existait pour de bon.
Vous l'avez compris, nous sommes montés à la tour. Les cloches, anciennes en général - n'oublions pas le rôle de la révolution sur le patrimoine campanaire français - ont une drôle de forme, sonnent comme des casseroles et sont, à l'instar d'autres que nous verrons, montée dans l'encadrement des fenêtres et non dans un beffroi.
Quelques photos d'autres monuments de la ville, beaucoup de palais et logis anciens, avec, ces claveaux gigantesques en entourage des portes, vu maintes fois en Espagne, y compris dans l'architecture rurale.
L'aqueduc romain est l'un des monuments célèbres de Ségovie. c'est un des mieux conservés du genre. Il est tout en granit, de gros blocs aux angles étrangement émoussés. On se demande si c'est l'usure du temps ou un type d'appareil. Il tourne et va diminuant à mesure que les flancs de la vallée s'élèvent. Nous le suivrons jusqu'à sa dernière arche!
Voici le patio en partie médiéval d'un restaurant du quartier juif où nous serons les seuls à deguster, entre autre, des judiones de la Granja (dont j'ai refait la recette avant hier soir).
Nous quittons Ségovie avec quelques vues de la cathédrale de loin, dont celles prises d'un endroit d'où la ville en contrebas est presque invisible, si bien que le cathédrale parait émerger des champs (effet Chartres).