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EN ALAN AR MEURVOR
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6 juillet 2015

D'UN BOUT A L'AUTRE DE LA CHAUSSEE

Aux environs de 10 heures du matin, après avoir dûment embarqué le matériel pour l’aventure, dont la pièce maîtresse était un zodiaque amarré au «porte-bagage» du navire, nous quittions le port d’Audierne sous un soleil radieux. L’embarcation avait à peine décollé du quai, que déjà la vision du port sous cet angle me ravissait et réveillait brusquement en moi ce désir de navigation un peu anesthésié par la passion horticole.

Une heure plus tôt, j’avais dû en urgence ressortir mon reflex de l’oubli, remmancher sur l’appareil l’objectif de fortune qui remplace mon transtandard défaillant et surtout le recharger en électricité, priant qu’une heure à la prise lui donnât assez d’autonomie pour la longue journée. Mon bridge en effet avait refusé ce matin là de fonctionner. Dans le pire des cas nous aurions aussi à bord la caméra qui, au besoin, pouvait faire office d’appareil photo. Toutes ces précautions préparaient une moisson d’images qui se devaient d’être merveilleuses et ne le furent point. Je n’avais pas pris en compte la taille du navire, et sa puissance. Trop accoutumé que j’étais aux traversées tranquilles sur les 30 ou 40 mètres des navires de ligne, j’oubliais que sur 7,50 m et à 20 nœuds, passer une vague tient du rodéo et que tenir un objectif en joue est tout bonnement impossible. Notre embarcation était plus proche de celles des ligneurs du Raz, qui pour le meilleur des bars, ont des audaces que des images haletantes nous ont mises en mémoire. Par ailleurs, l’appareil (l’objectif?) lui-même s’avéra décevant.

Le zodiaque quant à lui ne lassait pas de m’intriguer. C’est que, quelques jours plutôt, le «capitaine» nous demandait, à Vladimir et à moi, si nous nous pensions capable d’accoster seul le phare d’Ar Maen à bord de la frêle embarcation et d’ensuite saisir les barreaux de l’échelle pour escalader le socle battu par les vagues, pendant que lui nous surveillerait du navire. J’étais abasourdi. N’ayant jamais piloté un bateau à moteur de ma vie, je me voyais mal, en guise de baptême, exécuter une manœuvre, que même pour les relèves, autrefois, on ne se risquait pas à faire. C’est ainsi qu’il fut décidé d’adjoindre un quatrième larron à l’équipage qui aurait comme fonction de nous piloter jusqu’à la tour.

Lorsque cet hiver-là, partant de Sierpe, nous descendions une rivière environnée de mangroves jusqu’à ce que ses eaux lisses et verdâtres deviennent le fougueux Pacifique, j’avais pensé à la tranquille rivière d’Audierne, qui elle aussi, après avoir serpenté, émeraude dans son ria, devient Atlantique. Et ce matin-là, tout près du sable immaculé de la rive de Plouhinec que le bateau nonchalant longe, c’est Vladimir qui évoque Sierpe. Les quais, les restaurants, les jardins connus et fréquentés défilent lentement alors que droit devant, encore insensible de notre havre, c’est le large. Pour sortir de l’estuaire, il faut serrer la jetée à tribord, là où il y a encore un peu de fond. Le sable envahit le port en bout d’estuaire et à la fin du jusant, comme alors, un plus gros tonnage aurait bien de la peine à se frayer ici un chemin.

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Et voici que nous sommes en mer. Les 200 chevaux vrombissent dans notre dos. Après quelques essais infructueux, nous éteignons nos appareils photos et autre caméras devenus inutiles alors que d’une main nous saisissons vigoureusement la rambarde. Il fait beau, très beau même au point que la petite laine que j’aurais crue obligatoire était inutile, mais, il faut en convenir, il y a de la houle. La côte sud du Cap, aiguisée par le soleil matinal, fait se succéder les abris et les criques, les falaises et les grottes. Au droit de «notre» portion de littoral nous nous faisons plus attentifs. De notre bateau nous devinons l’ourlet de turquoise de Traezh Gwaremm, les maisons du bourg, le bosquet derrière lequel se cache notre toit. Nous dépassons Feunteun Aod et c’est alors que se profile le Raz.

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Le moteur ralentit pour nous laisser le loisir d’admirer. La pointe du Raz, selon qu’on l’aborde le matin ou le soir, en été ou en hiver, en voiture ou à pied, du sud ou du nord, par beau temps ou par gros temps, selon qu’on s’arrête là où se masse le gros des promeneurs ou bien qu’on pousse par le sentier escarpé jusqu’au bout du bout, peut apparaître fantastique ou décevante, précédée qu’elle est d’une haute réputation, et moi-même je l’ai connue sous tous ses plus divers atours. Mais là, d’en bas, au péril des ses récifs acérés, j’ai soudain l’impression de faire sa connaissance. Jamais son épine dorsale ne m’avait semblé si affûtée, son museau aussi allongé.

Très vite nous dépassons la pointe, obliquons et, droit devant, à quelques encablures seulement, la surface de la mer prend un aspect inorganisé, à l’ample et régulier mouvement de la houle succède un bouillonnement de marmite, le bleu uniforme se mue en camaïeu de blanc, de turquoise et de bleu sombre. C’est là, c’est devant, si étroit et si grandiose à la fois. C’est petit et c’est un monde. D’en avoir entendu tellement le nom, on n’ose plus le dire, c’est comme une légende mille fois racontée et dont on découvrirait soudain qu’elle est réalité. Je l’ai souvent vu de là-haut, mais cette fois c’est à portée de souffle. D’ailleurs je sens son souffle comme celui d’une grosse bête dont on craint la griffe et dont on envie la caresse. De la cabine où les marins sont restés à l’abri, une voix s’élève, autoritaire: maintenant cramponnez-vous! Et l’injonction n’est pas superflue. Ça dure un rien de temps, mais ça secoue rudement, le passage du Raz de Sein, là ou les eaux de l'atlantique se jettent dans l’Iroise. Ça secoue, ça vous emmène ailleurs dans votre tête, c’est comme on l’imagine depuis toujours. Et pourtant on est en été, et les coefficients de marée sont modestes…

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Nous voila à peine remis du franchissement de ce palier maritime que déjà la proue du navire se déplace sur l'horizon pour porter plein ouest et s'approcher d'une imposante silhouette campée sur son énorme roc. C'est le château des mers, la tour crénelée des embruns qui prend racine, à s'y confondre, dans la roche émergée, striée en tout sens d'escaliers creusés dans la chair granitique et qui paraissent chercher un échappatoire, affolés à l'arrivée des vagues. Être dominé par La Vieille si majestueuse, j'ai peine à y croire. Ce phare, même s'il n'est pas notre but ultime, est une forme de quintessence. Parmi les tours en mer, elle est sans doute l’une des plus belles. Tout à l'heure je sais que nous irons à Tevenneg, puis ensuite à Ar Maen; c'est comme une anthologie à ciel ouvert, un florilège des mes plus vieux rêves d'enfance réunis sur quelques hectares d'océan, la plus belle concentration de phares au monde. Nous approchons de la tour pour la contourner par le sud et de nouveau un ordre, ferme, vient de la cabine. Il ne s'agit plus de se cramponner mais de rentrer s'abriter. Et nous comprenons vite pourquoi. La Vieille, je ne suis pas certain de l’origine de son nom en français, vient-il d'ar wrac'h kozh, - sorcière ou poisson? -, alors que son rocher s'appelle aussi k-Gorle bellañ - et dans ce cas pourquoi deux noms différents?-, ou bien d’un autre vocable qu’il me semble avoir lu aussi, ar bervenneg kozh, la «vieille bouillonnante». En tout cas, à ce moment précis, je ne doute pas un instant que ce dernier nom, peu attesté, soit le bon.

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 Plein gaz de nouveau pour la traversée, du sud au nord, face à la Baie des Trépassés. Et nous voici au pied de Tevenneg. Tevenneg, c'est l'antithèse de la Vieille. Autant la Vieille est comme le prolongement glorieux de la roche, autant Tevenneg est incongru, fragile. C'est la maison de garde-barrière donnée en pâture à l'océan, c'est une cerise trop chiche sur un énorme gâteau sombre. Alors bien sûr, sous ce soleil radieux, environné d'une rare douceur, il passerait presque pour une douce villégiature, mais les jetées détruites sont là, les barres métalliques tordues, pour nous rappeler la férocité hivernale, quand les vagues, malgré la hauteur du caillou, font disparaître la maisonnette sous un manteau d'écume. On aperçoit encore, du bord, le four à pain ruiné, les crèches pour les animaux, témoins d'un temps très ancien où une famille entière devait tenir là des mois. On me confirme que bientôt, un artiste viendra là en résidence, ce qui me laisse songeur.  Nous aurions dû accoster Tevenneg et déambuler sur l'îlot, mais le Zodiac restera amarré à l'arrière du bateau. Il y a trop de houle pour s'y risquer. Derrière Tevenneg, les plus petits du chapelet de gros cailloux noirâtres que je n'avais jamais devinés tels quels de la côte, disparaissent presque sous les ondulations. Et alors que nous prenons le large, cap vers l'île, une sourde inquiétude monte en nous. La houle est trop forte.

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Entourés de fous-de-bassan qui rasent la vague ou exécutent des plongeons fantastiques, nous arrivons en face Men Brial de concert avec l'Enez Sun qui ira lui déposer ses passagers tandis que nous contournons  l'île par le nord, ce qui nous fait passer au pied du grand phare de Sein. Nous arrivons alors parmi un éparpillement formidable de rochers qui émergent plus ou moins de la surface et forment à eux seuls un petit univers. C'est la chaussée de Sein, ce reliquat de continent, ce redouté lieu de perdition pour navires avant qu'Ar Maen n'en balisât l'extrémité occidentale. Mais le présenter ainsi donne mal à imaginer ce que nous vîmes. L'eau peu profonde et translucide laisse voir le fond habillé d'algues géantes qui ondulent. Le goémon parfois se regroupe en îlots d'où émergent et plongent alternativement des petites têtes qui nous épient : ce sont des phoques. Surtout, les nombreux étocs cassent la houle et l'endroit est incroyablement calme, pas une vaguelette ne ride l'eau, il fait chaud. Est-ce le calme avant les remous du grand large? Quoi qu’il en soit, l'approche d'Ar Maen prend un aspect inattendu de douce croisière. Soudain des exclamations ! En voila un, puis deux, puis trois, ça va vite, il faut avoir l'oeil : les dauphins sont là. Pas trop joueurs ce jour là, ils ont autre chose en tête semble-t-il qu’à pavaner, mais nous les croisons plusieurs fois. C'est dans ce petit paradis que nous mouillons l'ancre pour déjeuner. On descend le zodiaque pour l’occasion, histoire de slalomer entre quelques unes des roches, d’approcher les phoques. C’est une très petite embarcation où trois hommes sont un grand maximum. Mais ici la mer à l’aspect d’un lac, – néanmoins parcourue de courant contre lesquels le petit moteur à fort à faire -, et je suis en confiance. Mais penser que c’est là-dessus que…

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         Le moment vient enfin de lever l’ancre et de mettre le cap sur le petit point blanc qui titille mon œil depuis plus d’une heure, là bas, entre deux cailloux. A mesure que nous nous éloignons et à la faveur d’une très légère brume de beau temps, l’île, ténue, s’étiole très vite, même le mufle du Cap finit par disparaître et il a n’y désormais plus rien que notre point de mire, si on peut appeler rien l’infini marin.

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 Ar Maen. Que vous dire? Si ce n’est que je savais déjà tout et que c’en est incroyable. Non pas de son architecture, de son gréement de câbles et de treuils, de ses joints blancs sur la pierre brune et de ses délabrements qui rendent tristes, pas de ces détails que les photographies depuis des décennies m’ont fait connaître. Je parle de la substance, de cet indéfinissable qui fait qu’entre mille photos et la réalité il y a toujours un décalage, une heureuse surprise, une déception. A mesure que nous contournons le phare, plusieurs fois, tout me semble familier, connu. Je confronte ma vision à ce que j’avais vécu pendant l’écriture de la  nouvelle « le Roc », et si l’on écarte l’aspect humain et dramatique de l’histoire, tout le reste, je le retrouve. Une fois encore m’est donné l’occasion de vérifier ce pouvoir qu’a la fiction d’enfanter du réel.

Jamais ne m’avait été donné de voir une plus exacte illustration du désert. Le désert n’existe pas en tant que tel. Il n’est que parce qu’il entoure l’oasis, la caravane de nomades, le chameau, l’igloo, la frêle cabane dans la toundra. A ces immensités il faut un centre. Quelle plus parfaite force centrifuge qu’une tour construite sur un rocher si petit qu’elle l’enveloppe totalement, qu’elle le rend complètement invisible à tel point que ce phare, on dirait qu’on l’a juste inventé, qu’il ne balise rien, qu’il est juste là, qu’il est une solution de la continuité océane.

Léchant le socle avec gourmandise, lentement, presque sans bruit, la houle fait monter et descendre la mer, découvrant ou recouvrant toute une moitié de l’échelle de bronze enchâssée entre les moellons. Sans qu’il soit besoin qu’on m’en avise, je sais l’accostage impossible. Monter sur Ar Maen, c’est aléatoire. J’entends causer de pêcheurs qui fréquentent les alentours du phare et rêve encore d’y grimper. Je ne suis pas déçu. Tout ce qui a été est déjà tellement. Notre « capitaine » quant à lui est chagrin. Il n’a pas rempli son contrat. Mais qui lui en tiendrait rigueur ? Pourtant, il nous promet, que s’il revient plonger dans le secteur et que les conditions sont favorables, il nous y ramènera, gracieusement pour qu’enfin… Cette idée me fait chaud au cœur, voyez-vous, car après qu’on a fait plusieurs tours du phare, lentement, il faut repartir, et laisser Ar Maen, et le voir déjà s’éloigner me rend triste. Alors, c’est sûr, ce n’est qu’un au revoir. D’autant que mon idée de naviguer un jour, un peu délaissée pour le jardin et le théâtre, a été piquée d’un rappel l’autre jour sous forme d’un code de navigation offert comme cadeau d’anniversaire par un marin chevronné. Et cette journée ne fait que confirmer cette sourde pulsion. Et pour revenir ici en tenant la barre, il faut du boulot.

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 Il est décidé de faire escale pour un café (enfin pour nous ce sera un café) sur l’île de Sein. S’arrêter à l’île de Sein pour boire un café aussi facilement qu’on le ferait sur l’aire de repos d’une autoroute a quelque-chose de proprement incroyable. D’autant que l’île s’offre sous des aspects que je ne lui jamais vu. Il y fait chaud, très chaud. Et un peu partout, on nage, on plonge, on s’ébroue, on boit du rosé. Nous déambulons un peu dans les ruelles. Les floraisons sont au zénith, concentrées sur de petits lopins de terre, intenses, criardes parfois mais le peu d’herbe a déjà presque disparu. Je me demande si l’on peut arroser à Sein.

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 Le retour à bon port, grâce aux 200 CV sera rapide. Et c’est bien. On n’a pas envie de faire autre chose que de sceller ces belles images déjà souvenirs.

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Commentaires
C
Karagar> Elle l'a déjà fait, une fois (enregistré un texte), mais je ne sais pas ce que c'est devenu.<br /> <br /> Pour le code, sans faire de la pub, c'est le Vag*non ? Pour les eaux douces, j'avais appris là-dessus, mais ce n'est évidemment pas la même chose. Cela me fait penser, que je devrais profiter un peu plus de mes permis bateau.
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K
Plume1> je crois que j'imagine un peu, si...<br /> <br /> Cornus> Ah depuis le temps que tu nous ne parles, il faudrait que tu l'enregistres cette from liseuse !<br /> <br /> Calystee> Heureux de t'avoir fait, le temps d'un texte, un peu copain avec la mer!
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P
De quoi, de quoi, des flicmar' dans mon canot ?
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C
Quelle équipée, fort bien racontée ! Ça donne envie, même à moi qui n'aime pas trop la mer !
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K
Plume> J'ai mis la gendarmerie maritime sur le coup. Le vol de phare ça va chercher loin !
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