VOIX D'ANGES
J’ai noté que Karregwenn avait fait récemment un bref historique des noëls de sa vie. Loin de moi l’idée d’en faire autant, du moins ce soir, mais j’ai noté qu’elle y évoquait la messe de minuit. Je n’y ai jamais assisté, on ne me l’a jamais proposé. Du moins jusqu’au 24 décembre dernier, offre que je déclinai d’ailleurs. Le beau-frère de Vladimir et l’une de ses filles s’y rendaient. Il est un peu compliqué, en Angleterre, de saisir les raisons qui poussent certaines personnes à avoir des activités qu’on qualifierait ici de religieuses. J’ai toujours un peu de mal à comprendre les choses avec ma grille d’interprétation continentale. [Là-bas, le drapeau du pays flotte parfois sur les clochers, mais la restauration des cathédrales dépend de la charité…]. La foi, ici, me semble un critère minimum – et pas toujours suffisant, bien sûr – alors qu’outre-manche, rien n’est moins sûr. Les choses de l’église paraissent parfois être une activité sociale comme une autre.
Deux petits évènements m’étaient restés en mémoire. Le premier, c’était lors de mon premier Noël londonien, alors que nous étions entrés dans une cathédrale de la ville. Commençait alors une cérémonie de Christmas carols. J’avais vu mon Vladimir attraper un livret de paroles et se mettre dans les rangs pour chanter, mû par une force étrange. Au printemps, il y a deux ans, nous entrons dans la cathédrale de Wells alors qu’une cérémonie religieuse commence. Sans poser la question de nos motivations, une personne nous place et nous voilà coincés sur un banc. Nous réussissons finalement à filer… à l’anglaise mais j’ai le temps d’entendre les chœurs et j’en garde un souvenir fort. Quels chanteurs, ces anglais.
Ce soir là, nous décidons d’assister pour de bon aux Christmas Carols de Winchester. La cathédrale est la plus célèbre du royaume pour la chose et quand il y a des cantiques de Noël à la BBC, ce sont ceux de Winchester. Nous sommes « virés » de l’église à quatre heures et demie pour cause de préparatifs mais on nous dit que la cathédrale rouvre à cinq heures pour laisser les gens entrer alors que la cérémonie ne commence qu’à six heures ! Je comprends le pourquoi de la chose quand je vois l’immense queue qui patiente devant la façade. D’ailleurs, des chaises supplémentaires ont été installées partout. Nous trouvons une place près des radiateurs.
Naïvement, je pensais assister à une sorte de concert, mais c’est un véritable office religieux, avec prières (dont une n’oubliant ni la reine ni les forces de police qui nous protègent), des amens, des assis/levers successifs, avec doyen (dean), évêque, député qui lit un passage des évangiles et un staff impressionnant mitré, ensoutané et autres. La mise en scène est théâtrale à souhait, avec moment d’obscurité totale (comme au début du livre que je suis en train de lire), cathédrale à moitié éclairée, grandes lumières. Avec chorale d’abord cachée derrière le jubé – là bas parmi les stalles éclairées aux seules bougies comme au Moyen-âge –,
puis apparaissant au devant avec tous les dignitaires qui se déploient et rejoignent pour certains leur chaise honorifique, puis partant en procession au revers de la façade, puis revenant au maître autel avant la bénédiction finale de l’évêque.
Ma description est un peu ironique mais au fond, je suis à plusieurs reprises très ému. Les cantiques sont précédés d’un passage des évangiles et alternent entre ceux que seule la chorale interprète et ceux que tout le monde connait. Le chœur est composé pour une bonne part de garçons pré pubères dont les voix montent à la voûte comme celles d’autant d’anges. La maîtrise de la puissance est impressionnante, il n’y a je ne sais combien de paliers entre le susurrement et la plaine voix. La cathédrale, dont je n’apprécie guère l’architecture, j’y reviendrai, m’apparait soudain toute différente dans la semi pénombre, belle et élancée, porteuse d’idéal, bref gothique. Et quand les cantiques sont populaires, c’est toute la nef qui chante. Je suis peut-être le seul à ne pas ouvrir la bouche. Je n’avais jamais entendu une cathédrale entière à l’unisson ainsi et c’est quelque chose. Voilà, ça n’était pas la messe de minuit, mais ça approchait la féérie qu’enfant je lui attachais en imagination.