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EN ALAN AR MEURVOR
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24 décembre 2010

LE CHAT DE KERVASKER 14

kervasker14

 

Chapitre  XIV

LE CHAT DE KERVASKER


Un homme se tenait devant eux, à l’entrée du défilé rocheux, qui braquait un révolver dans leur direction. Pornus, qui avait remis son fusil à l’épaule n’aurait pas eu le temps de riposter.

L’homme était Gwethenoc Glasten.


-         Je préfèrerais ne laisser derrière moi que des cadavres mutilés par le « chat » mais je n’hésiterai pas à tirer si l’un  de vous se rebiffe. Je trouverai bien un moyen de faire disparaître le corps.

-         Ah, c’était donc ça, dit rageusement Pornus.

-         Vous nous preniez pour des imbéciles, Fulgence et moi, comte Pornus, eh bien sachez que la sottise est parfois la meilleure des couvertures.


D’un geste discret, Yann-Marc’hkar éparpilla au sol ses derniers brins de cataire.


-         Ah, ah, quelle équipée vous faites, continua Glasten, nous ne pensions pas trouver des adversaires sur notre chemin, mais la providence a voulu qu’ils ne soient pas bien redoutables.  Une porn star déchue, une cantatrice qui ne tiens pas sur ses pattes, un gringalet anglais, une frapadingue avec son chat demi portion, et un pseudo seigneur de Botyen qui malgré son air sérieux n’impressionne personne. Et, cerise sur le gâteau, la poule à Kervarker, un peu hommasse à mon goût.


Torzh, sans rien laisser paraître, pinça le coude d’Izolda pour qu’elle ne réagisse pas à la provocation. Mais celle-ci avait compris d’elle-même que l’erreur de Glasten était une aubaine.

-         Assez parlé, où est Kervasker ?


En posant cette question, la voix du pseudo détective avait pris des accents de folie meurtrière.

-         Quel sort lui réservez-vous ?, se risqua à demander Izolda.

-         Vous avez raison d’être inquiète pour votre amant, ricana, Gwethenoc, après tous ces amuse-gueule, le chat attend son plat de résistance. Les autres n’ont été tués que pour accréditer la thèse du retour du chat, et pour peaufiner notre scénario – une scène doit être répétée plusieurs fois, n’est ce pas, Volaskell de Damas – mais le seul qu’il m’importe vraiment de voir les tripes à l’air, est ce chien de Kervasker.

-         Hi !hi !, dit la marquise, le chien de Kervasker, ça change du chat, mais c’est déjà pris comme titre !

-         Vous avez encore le cœur à rire, misérable ?, hurla Glasten à l’encontre de Fromulus.

-         Une dernière rigolade et un dernier chocolat, et je mourrai en paix.


Fromulus n’avait pas oublié que la dérision était venue à bout de la créature d’Oxymoor, mais elle était moins sure du résultat cette fois-ci.


-         Ah, vous ne craignez pas la mort, dites-vous, mais le chat, comme tous les chats peut s’amuser avec sa victime avant de lui porter le coup fatal, et peut-être y réfléchirez-vous à deux fois en voyant ses griffes prêtes à vous lacérer.

-         Cessez ces enfantillages, hurla Pornus, nous savons tous qu’il n’y pas de chat !

-         Non, bien sûr, pas au sens où l’entendent ces imbéciles de la campagne environnante, mais cette panoplie est fort efficace, et quand vous serez morts vous ne pourrez pas témoigner de ce qui vous à causé de telles blessures. Pour tous, il s’agira forcément du chat ! Regardez plutôt.


Obéissant au geste de Glasten, tous se tournèrent vers le rocher où la bête était tapie. Fulgence se tenait debout et brandissait un lourd harnachement dans lequel ils reconnurent le monstre.


-         J’étais costumier pour le cinéma à Chewing-gum-wood, en Calystenie, expliqua Donemat. Intérieur de la fourrure entièrement capitonné en patchwork de gilets pare-balle, griffes et mâchoire en acier, tout à fait opérationnelles. Gwethenoc à l’avant, moi à l’arrière, ça nous fait une bête de belle taille, puissante comme deux hommes, quasi invincible. Mini haut parleur dans la gueule relié à un enregistrement de rugissement, et le tour est joué, expliqua Fulgence avec la voix d’un enfant qui se réjouit du perfectionnement d’un de ses jouets, alors qu’il décrivait une machine de mort.


Fulgence avait allumé un puissante lampe torche pour faire admirer les détails de sa poupée sanglante. Dans les gestes de sa démonstration, il avait tourné le faisceau, un moment, sur le visage de Glasten qu’Izolda regardait alors. Quand elle vit les traits de son visage et la rousseur si particulière de ses cheveux elle dut réprimer un cri de stupeur qui l’aurait trahie.


-         Mais vous avez commis une erreur, dit Yann-Marc’hkar qui cherchait un moyen d’humilier ces fous dangereux, les chats ne rugissent pas ! Dommage après tant d’effort, de négliger un tel détail, quel amateurisme.

-         Quelle importance, meugla Glasten vexé, puisque vous ne pourrez pas en témoigner !


Pris qu’ils étaient tous dans cette tension morbide, aucun d’entre eux ne prêta attention à Tizh-F qui avait soudain changé d’attitude. Jusque là assis aux pieds de sa maîtresse, comme indifférent au drame qui se jouait autour de lui, ses poils s’étaient hérissés, ses yeux et les rubis de son collier s’étaient mis à luire étrangement. Aucun sauf Torzh, qui ayant repéré le manège du chat, esquissa un imperceptible sourire.


-         Touop long ! Touop long cette scène, s’énerva Volaskell. Il faut qu’il y a un scène explicative maintenont. Attention, prouemieoue ouéplique : « Mais pouqouoi ce caouanage insensé, pouquoi toute cette mise en scène, pourquoi vouloi si aoudamment la moou de Kerouasker ? »

-         Car certains ont tout et d’autres rien de ce qu’il leur revient de droit. Le père de Tristan de Kervasker ne valait pas mieux que son lointain ancêtre qui avait entaché à jamais la réputation de la famille. Il était de cette catégorie d’hommes qui n’ont aucun courage, qui n’assument pas leur choix. Quand sa femme, après la naissance de Tristan a manifesté les premiers signes de folie, il l’a délaissée, et s’en est allé voir ailleurs. Combien de femmes séduites à force de belles promesses et aussitôt délaissées. Et à d’autres, il laissa plus que la déception, comme ma mère qu’il avait engrossée. Tristan de Kervarker est mon demi-frère.

-         Mais, il n’y est pour rien, sans doute ignorait-il tout de cela, sans doute serait-il lui-même choqué et même navré d’entendre cette histoire, vous ne pouvez lui en vouloir, intervint Izolda avec toutes les précautions oratoires nécessaires.

-         Tous les hommes qui ont vécus à Kervasker sont des monstres potentiels, ils sont maudits. Je vous plains Madame d’être sa compagne. Ma mère Anna Glasten, vue sa position, a prétexté une longue cure à l’étranger pour accoucher loin de son mari qui n’a rien su, et ensuite elle m’a abandonné. Connaître enfin mon histoire est le fruit d’une longue enquête, soyez en certains.

-         Sa position, questionna Yann-Marc’hkar ?

-         Anna Glasten n’était autre que la femme du vicomte de Botyen, le dernier propriétaire du manoir que vous avez acheté à sa mort, ce manoir qui me revenait de droit, ainsi que me revient de droit la moitié de Kervasker, ou mieux encore, sa totalité si Tristan venait à disparaître ! Comprenez la, outre qu’elle aurait dû avouer s’être laissé séduite par un autre homme, confesser qu’il n’était autre que Kervasker eût été une faute impardonnable au regard du poids des traditions familiales. Mais elle a eu sa vengeance, en sabotant les freins de l’Alpine du séducteur impénitent. C’était comme si l’histoire ancienne à l’origine de la légende du chat se répétait, mais à l’inverse.

-         Mais que ferez-vous, une fois Kervasker mort ?, demanda Yann-Marc’hkar.

-         A la mort de ma mère, puis de son mari Botyen, je ne savais pas encore de qui j’étais le fils. Il était trop tard. Mais aujourd’hui, je peux revendiquer ma filiation et faire valoir mes droits en cas de succession. Aujourd’hui, il y a les tests ADN !


Soudain, l’éclat mortifère habitait de nouveau ses yeux alors qu’invisible, le petit Tizh-F manifestait de plus en plus sa nervosité.


-         C’est pourquoi, il faut que vous me révéliez, Madame, où est Kervasker. Où se cache-t-il. Sans doute le manoir a-t-il quelque endroit secret,  quelque souterrain que j’ignore.

-         On se dépêche de cracher le morceau, lança vulgairement Fulgence de l’autre côté. Je sens qu’il s’énerve.

-         Nous ne dirons rien, affirma Pornus, torse raide.

-         Vous ne craignez pas la mort comte Pornus, belle démonstration de courage.

-         Si, je la crains, répondit-il, mais je ne crois pas que vous puissiez nous laisser la vie sauve après toute ce que vous nous avez dit, alors autant mourir dignement et sans trahir.

-         Quelle grandeur d’âme. Serez vous aussi inflexible si vous assistez au supplice de votre belle épouse.


Il fit un signe à Donemat, qui, lui aussi armé d’un révolver, avait sauté de son rocher et attrapa la marquise. D’une corde, il l’attacha à un rocher alors qu’elle hurlait de désespoir. Ayant les deux mains libres, il saisit l’une des griffes du faux chat et en menaçait le visage de Fromulus. Elle s’évanouit. Pendant ce temps, Tizh-F se roulait dans la neige, pris de folie. Torzh avait les yeux fermés, comme au summum d’une concentration méditative.


-         Alors, comte Pornus, pour la dernière fois, où est Kervarker.

-         Je suis là !, répondit Izolda, reprenant sa voix d’homme.


Glasten crut alors que Kervasker s’était déguisé en femme et qu’il s’agissait d’une simple ruse. Il visa Izolda et arma son révolver.


-         J’aurais aimé vous faire souffrir chez frère nanti, mais le temps presse.


Il allait appuyer sur la gâchette. Au même instant, Tizh-F émit un miaulement rauque et une ombre immense passa devant eux, à la vitesse de l’éclair, souple, silencieuse comme la nuit. Après son passage, comme par magie, Gwethenoc Glasten avait disparu. Quelques secondes plus tard, un terrible cri d’agonie déchira la nuit et une pluie de gouttelettes rouges macula la neige. Tous étaient médusés et Donemat qui se tenait toujours à côté du corps inanimé de la marquise encordée était plus que désemparé. Par réflexe, il braqua son arme sur le petit groupe. Il était affolé et dangereux. Il allait tirer à son tour quand quelque-chose de rapide s’abattit sur lui du haut du rocher contre lequel il était adossé et l’emporta. Un instant plus tard, un immonde gargouillis glaça le sang. La marquise se réveilla toute seule :


-         Quelqu’un aurait-il du chocolat aux noisettes ?


Sa question demeura sans réponse. Torzh à présent reculait de quelques pas, suivie de Tizh-F. Ils se placèrent côte-à-côte et levèrent les yeux vers le Roc’h Du. Venant du bas de la montagne, quelque chose faisait des bonds dans la neige. C’était Bis-Cotto qui vint se placer contre son frère et prit la même attitude révérencieuse. Volaskell et Yann-Marc’hkar se regardèrent en haussant les sourcils. Ce chat leur en faisait voir, décidemment. Sans comprendre pourquoi, les autres les rejoignirent. Le silence de la nuit étoilée qui leur avait paru si menaçant jusqu’alors, n’était plus que sérénité et calme. Les deux chats ronronnaient désormais à l’unisson. Puis, lentement, sans le moindre bruit, deux pointes noires émergèrent parmi les crêtes rocheuses et s’élevèrent lentement parmi les étincelles des étoiles. Apparut alors la tête d’un immense chat qui avait une pluie d’or dans les yeux. L’animal était plus imposant que la lamentable guenille des assassins. Tous commençaient à reculer dans un geste involontaire. Mais Torzh les en empêcha :


-         Restez, mes amis, vous ne risquez rien.

-         Mais, mais, mais… dit Pornus.

-         C’est le chat de Kervasker, eh oui, dit Torzh.

-         C’est une bête magnifique, s’exclama Yann-Marc’hkar.

-         Je pouéfèoue les poils courts, répliqua Volaskell en caressant Bis-Cotto.

-         Un morceau de chocolat, peut-être Bisousig, proposa la marquise.

-         Fromulus, fit remarquer Yann-Marc’hkar, le chocolat est toxique pour les chats !


Pendant qu’ils s’extasiaient, le chat de Kervasker avait enjambé le rocher et était venu s’assoir face à eux, en pleine majesté. Torzh prit la parole :


-         Yann-Marc’hkar et moi, soupçonnions de longue date la réalité du chat, au-delà des bouffonneries de ces tristes sires.

-         Yann-Marc’hkar, s’étonna Pornus ?

-         Oui, pourquoi aurait-t-il semé sur notre passage des brins de cataires comme les cailloux du Petit Poucet, sinon pour l’attirer à nous.

-         Mais comment a-t-il su, s’impatienta Pornus ?

-         Je n’ai fait qu’observer Torzh et Tizh-F, dit Yann-Marc’hkar et puis… hésita-t-il…

-         Et puis quoi, demanda Pornus.

-         Ne sommes nous pas les personnages D’Arzur Déconnant d’Oil mon cher ? Or, j’ai l’honneur de le connaître un petit peu et franchement, je ne l’imaginais pas mettre d’aussi odieux crimes sur le dos d’un chat !

-         Ah, si tou connais Arzour Déconnont d’Oil, tou pououais lui dioue de me donner un ouôle un peu moins niais, rouspéta Volaskell.

-         Je lui en toucherai un mot pour nos prochaines aventures, assura Yann-Marc’hkar.


Un immense miaulement emplit la nuit.


-         Nous devons un service au chat qui nous a sauvé la vie, dit Torzh. Voyez-vous, même si ce fut une erreur, même si ce fut un sacrilège qui le condamna à l’errance éternelle, ce chat a été baptisé par un prêtre, certes un peu sénile mais bien brave. Il ne pouvait pas être du côté du mal. Les rares meurtres qu’il a pu commettre par le passé, comme aujourd’hui, n’eurent pour objet que de sauver des pauvres innocents de la main cruelle des Kervasker. Tout le reste n’est que légende. Donnons-lui la possibilité de vivre sa vie de chat, maintenant que plus un seul homme du nom de Kervasker ne naîtra sur cette terre.


Le chat de Kervasker s’aplatit au sol, Torzh pris Tizh-F dans bras et monta sur son dos, suivie de Yann-Marc’hkar et Bis-Cotto.  Après hésitation, le reste de la compagnie en fit autant. Alors le chat se mit sur ses pattes et à grandes enjambées descendit la colline de Roc’h Du, puis escalada la montagne Saint Michel de Bremeur. Arrivé près de la chapelle, il déposa tout le monde et Torzh entra dans le sanctuaire.


-         Eh les mecs, venez m’aider !


Aidée des trois garçons, Torzh transporta les fonts baptismaux à l’extérieur. Le chat y posa son énorme menton.


-         D’après certains détails de la légende, on peut rendre sa liberté au chat en prononçant la bonne formule, ici,  à l’endroit où son sort s’était noué,  à condition qu’il s’appuie sur la pierre où il fut baptisé, pour lui la pierre du souvenir, ar Maen Koun.


Le chat attendait patiemment alors que Bis-Cotto et Tizh-F s’étaient couchés sur ses pattes avant. En le regardant bien, on aurait dit qu’il souriait. Alors Torzh leva les bras au ciel, empli ses poumons et prononça la phrase :


O, kazh Kervasker da zaoulagad regez

Ouzh ar maen-koun harpet da elgez

E deun an noz du evel an huzil

Tec’het diwarnout neuz vil ’n euzhvil.


         Alors un halo de lumière douce dont on imagine les saints revêtus, enroba le chat d’un linceul salvateur et lui ôta sa monstrueuse défroque. Quand elle se fut évanouie, ils virent un bon gros chat jouer un moment avec Tizh-F et Bis-Cotto, puis s’en aller en quête d’une ferme accueillante où abondent les souris.

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Commentaires
C
Moi, je me demande bien comment le comte Pornus va bien pouvoir se remettre de cet affront de basse sorcellerie ? Enfin, on attendra l'année prochaine pour voir s'il n'a pas trépassé dans la baie vitrée de la sombre clairvoyance opaque.
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C
La Calystenie, dites-vous, cher ami?! Je sens que je ne vais pas tarder à faire mon apparition!
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K
Oksébooooooooo...Tellement ksébo qu'on se croirait à Noël !
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