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EN ALAN AR MEURVOR
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19 novembre 2009

A LA GRACE DE L'HEVEA

Il s’étonnait toujours de cette capacité qu’il avait de faire que le miracle se réitérât à chaque fois. Il lui arrivait pourtant d’envisager son cours, parfois, avec lassitude, de craindre l’extinction soudaine de la braise qui animait ses paroles, de ne plus savoir étancher, non, faire naître la soif de connaissance de ses étudiants, ou pire encore, d’allumer un incendie qu’il ne parviendrait plus à alimenter de sa fougue.

Et puis, à chaque fois le miracle se reproduisait.  A l’évocation de ces réalités historiques qu’il avait maintes fois exposées et dont il avait lui-même mis certaines en lumière au gré d’un travail passionné, la flamme, avec une heureuse constance, se ravivait. Il disait alors le Savoir comme à la première fois, avec la force de la conviction. Il était comme le comédien habité sans faillir par son rôle, représentation après représentation, sauf qu’il avait écrit le texte et réglé la mise en scène lui-même.

Malgré le grand nombre des jeunes gens assis dans l’amphithéâtre, il scrutait les regards, traquait l’ennui ou encore l’intérêt grandissant et ajustait dans l’immédiat, ses mots, le style de son propos, le ton de sa voix. Rien ne récompensait plus ses efforts oratoires que de lire l’étonnement dans les yeux. Ne rien admettre pour normal, être surpris de la singularité de chaque fait, se représenter à chaque fois que l’on s’entend dire que les choses furent ainsi qu’elles auraient pu être autrement. C’est ce face à face avec l’Histoire qu’il voulait léguer.

Les deux heures qui lui étaient imparties touchaient à leur fin. Le bref après-midi d’hiver aussi. L’attention qu’il portait à ses propos et à son auditoire ne l’empêchait pas d’observer, par intermittence, le déclin du jour sur les toits de zinc, à travers l’une des grandes fenêtres cintrées. Il n’en savourait que plus délicieusement le confort de sa position, la molle étreinte de son fauteuil, la rutilance des boiseries fraîchement cirées qui lui renvoyaient cet exquis parfum d’encaustique, le suranné des peintures qui couvraient le plafond vaguement bombé, l’autorité de la reconnaissance unanime qui lui valait de professer dans la plus belle salle de l’université. Dans quelques minutes, il se lèverait de sa chaise avec l’allant que lui permettait son jeune âge relatif, mais une fois de plus, il ne serait pas assez rapide pour éviter la cohorte rituelle des étudiants en mal d’explications individualisées. Il y aurait aussi ceux et celles qui anticipaient leur réussite à l’examen et comptaient bien faire leur master sous sa direction et qui voulaient déjà un avis sur leur choix de recherche. Il y avait celles enfin qui rêvaient de se retrouver dans le lit de cet homme brillant, très séduisant et que tous savaient célibataire, donc ouvert, comme il se doit, aux fraîches sollicitations de la jeunesse.

Il avait ensuite regagné son bureau, salué quelques honorables collègues, fait bonne figure devant quelques autres qui lui chantèrent les louanges de son dernier opus, révolutionnaire dans le fond et la forme, et il dut enfin promettre de lire le tapuscrit d’un dernier qui se proposait de le lui envoyer par courriel.

Dès qu’il se fut éloigné d’une dizaine de mètres du vénérable bâtiment, il s’imagina qu’un observateur aurait pu constater sa métamorphose à vue d’œil, il s’imagina qu’un nouveau masque venait recouvrir par enchantement celui qu’il avait porté tout le jour, comme s’il avait été le personnage d’un film fantastique. Il aurait voulu pouvoir changer de vêtement dans le même instant, reléguer totalement l’autre au placard jusqu’au lendemain, un mardi. Il aimait la sensation quasi érotique de nudité que lui provoquait l’absence soudaine de l’autre, ainsi que le relent doux-amer de fragilité qui l’enveloppait alors.

Arrivé dans son bel appartement, il jeta avec plus de dégoût que de négligence sa « tenue » pourtant assez décontractée de titulaire de chaire, pour enfiler un jean et un blouson. Sa belle assurance l’avait alors totalement quitté.

Il s’enfonça dans les profondeurs du métro, en regardant une à une les marches défiler sous ses pieds, en détaillant avec une vaine précision touts les détritus qui les constellaient, alors qu’il ralentissait l’allure à mesure qu’il descendait. Il se laissa ballotter par la rame au long de quelques stations avec le plaisir conscient du relâchement. A la sortie, il franchit le grand portail, traversa le parking et se porta d’un bâtiment à l’autre jusqu’à trouver celui qui le concernait. Au second étage, il déboucha dans un large couloir où il estima monstrueux de devoir passer devant tous ces gens en pleine attente. Il ne leva pas la tête du linoléum blanchâtre de peur de devoir croiser le regard du moindre d’entre eux. Par chance, il n’y avait qu’une personne devant lui au bureau d’inscription. Il se retrouva sans tarder parmi ceux qu’il n’avait osé regarder une minute plus tôt. Malgré l’effort qu’il faisait pour n’en voir aucun, son attention lui fut arrachée par quelqu’un qui le dévisageait de loin. Il reconnut sans difficulté l’une de ses étudiantes de deuxième année, une blonde au teint pâle, assez jolie mais au traits trop inexpressifs à son goût. Elle était de celles, qui, assez discrètement mais avec ténacité, poursuivait quelque espoir de le séduire. A la vue de son professeur, les yeux de la jeune personne s’étaient arrondis. La surprise était évidente. Mais autre chose s’y devinait. La présence du professeur en ces lieux, malgré leur grande tristesse, enouragait plus ou moins consciemment son esprit de conquête.

On avait soudain mis les bouchées doubles. La file s’étiolait maintenant deux fois plus vite. Un à droite, l’autre à gauche. Droite, gauche, droite… il fut accueilli dans le bureau de gauche. La femme le regarda comme on regarde un jeune homme irresponsable. Paraissait-il si jeune ainsi vêtu ? Ou si dénué de maturité ? Au ton de sa voix quand elle le pria de s’asseoir, il sut aussitôt qu’elle le croyait d’un milieu social et culturel défavorisé. Cela lui plut d’emblée et il se pelotonna dans le giron de l’autorité maternelle qui en émanait. Elle avait un peu plus de cinquante ans et l’allure d’une femme qui se sait attirante et met le plus grand soin pour le rester. Mais sa vraie beauté, selon lui, venait de la gentillesse qui rayonnait de son visage.

« Alors, qu’est ce qui vous arrive ? »

Il se sentit enfant pris en faute à qui on est prêt à pardonner et il s’abandonna totalement à cette impression. Il s’en remettait à cette femme, accepterait ses remontrances et son verdict. Si l’autre le voyait…

« Accident de préservatif. »

« Je suis obligée de vous demander des précisions… »

« Relation homosexuelle, ça n’est pas moi qui portait le préservatif. »

Il avait dit cela d’une vitesse fulgurante, pour s’en débarrasser.

« Vous étiez en position passive, c’est ça ? »

« Oui »

« Avec un partenaire régulier ? »

« Non. »

« Avez-vous pu en parler ? »

« Oui, mais il ignorait totalement son état sérologique. »

« Va-t-il faire le test ? »

« Je ne sais pas. »

« Avez-vous un moyen de le contacter ? »

« Non, pas le moindre. »

« Bien, dans votre cas « le traitement du lendemain » se justifie, mais c’est assez lourd, vous savez ? »

« Oui, je suis au courant. »

« Dans trois mois, vous reviendrez faire le test. »

Lorsqu’elle en eut fini avec lui, qu’elle lui eut remis les ordonnances, il resta à la regarder, dans l’attente de quelque-chose. Sa voix ferme et douce à la fois l’avait rassuré, il ne pouvait se résoudre à la quitter déjà. L’idée du lendemain le traversa. Il aurait remis la défroque de l’autre, il serait sûr de lui, son avis à lui en rassurerait d’autres.

Lorsqu’il sortit, l’étudiante venait de quitter le bureau d’en face. Elle tenait des résultats à la main et pleurait. L’autre aurait esquissé un geste mais lui se précipita dans les escaliers pour en chasser l’image.

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Commentaires
K
Cornus & Kgwn> vaine tentative donc pour vous faire quitter le vénérable amphi...<br /> Calystee> Non, pas de suite. Mais d'autres fictions, sans doute. Merci, en tout cas.
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K
Ha ha ! Cornus, ne croies pas être le radoteur de service,j'allais moi aussi parler de boiseries universitaires quand je me suis souvenue, en voyant ton comm', que j'avais amplement radoté là-dessus à la 1ère parution.Je me souviens même que j'avais parlé boiseries pour ne pas commenter le reste...et Dieu sait pourquoi. Mais j'en suis toujours là.Enervant.<br /> Cela dit, les boiseries de la Soeur Bonne..huuuum !
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C
"il scrutait les regards, traquait l’ennui ou encore l’intérêt grandissant et ajustait dans l’immédiat, ses mots, le style de son propos, le ton de sa voix". Voilà une phrase qui me parle. Et au sujet des boiseries de l'amphi, ça me rappelle des choses, mais j'arrête sinon je vais avoir l'impression de radoter comme un ancien combattant.
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C
Avec ou sans suite? Je parle de ton texte, bien sûr. Un vrai plaisir.
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K
Kgwn> Lâret'm boa dit e vefe un adimplijadenn bennak - Unan all a vo (adveret sur a-walc'h) sed aze tout
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