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EN ALAN AR MEURVOR
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4 juillet 2009

COMME AVANT... (1)

Il y avait trois ans que ça n’était plus arrivé. Trois ans c’est peu, mais c’était assez long néanmoins pour m’avoir fait craindre un changement définitif, un tournant irrémédiable dans le rapport de l’enseignant que je suis avec ses étudiants. Crainte nourrie, assez stupidement et légitimement à la fois, à voir mes élèves d’année en année s’éloigner de ma génération. Il faut dire que, de manière plutôt extraordinaire, la formation des élèves instituteurs des écoles D. occupe une place toute particulière dans ma « carrière » d’enseignant et s’impose, dans un regard en arrière, comme un leitmotiv, alors même que j’ai eu trois employeurs différents. Au tout début de ma vie professionnelle, alors que je débarquais en Bretagne, et après que j’avais été engagé à la suite d’une courte discussion dans un bar, bien trop légère pour évaluer mes compétences, je me trouvai être bien vite celui à qui l’on confia la formation des élèves instit. A  l’époque, emporté par le flux du torrent, je ne me posai guère de questions mais aujourd’hui, avec le recul, je mesure à quel point on me fit confiance et  à quel point cette confiance peut être structurante pour une personne. Je devais avoir vingt six ans, j’avais l’âge de bon nombre de mes élèves, beaucoup d’autres étaient mes aînés. Je me souviens d’une formation d’une semaine, qui n’était pas encore celle des futurs instits, où l’on me confia quelques cours au groupe du niveau supérieur. Il y avait, parmi les élèves, le fils d’un éditeur-écrivain, lui-même écrivain, élevé en langue bretonne qui venait d’avoir le CAPES de breton – accordé dans un acte régalien du monarque socialiste de l’époque – et qui suivait ce stage dans le cadre de sa formation post concours. Quel trac ! Que pouvais-je bien apporter que ne sache déjà cette personne, d’autant que mon matériel pédagogique était à l’époque bien succinct ? Je sortis mon seul fleuron d’alors, mon analyse sur la subordonnée relative en breton, lentement élaborée à la lumière de la différence entre « that » et « which » en anglais (j’ai donc quelques raisons d’avoir une tendresse particulière pour l’idiome de William !) que m’avait expliquée ma sœur licenciée en cette langue. Le système tenait la route et n’avait, à mon sens, au vu que ce qui existait dans les grammaires bretonnes, pas de concurrent sérieux. Premier succès. Encore aujourd’hui, chaque fois que j’attaque le problème des subordonnées relatives devant mes étudiants, je sais la dette que j’ai envers elles.

Cette confiance accordée, si précieuse, elle est bien-sûr le fait d’une personne, dont je vois seulement aujourd’hui clairement le rôle. C’était Herve. Il avait été nommé directeur pédagogique de l’organisme de formation qui était celui où je débutais. Il avait un caractère épouvantable mais il m’a très vite estimé et dans ses bons jours, il était d’une vraie générosité intellectuelle. Il est la seule personne avec la quelle j’aie pu échanger de manière aussi ouverte sur la langue (bien qu’il en eût parfois une vision un peu raide). Cela peut paraître curieux à ceux qui se rappellent ses colères terribles et sa grosse barbe à la Karl Marx derrière laquelle il cachait sa sensibilité, mais il est la seule personne avec qui, moi le travailleur solitaire, j’ai pu collaborer vraiment dans mon travail sur la langue. C’est terrible de penser à quel point les problèmes de comportement peuvent faire de l’ombre et gâter les qualités des personnes. Et puis il m’estimait et me faisait confiance, je le savais et son épouse me le confirma au lendemain (ou le jour même ?) de sa mort, à trente neuf ans. Lorsqu’on me confia l’horrible tâche de prononcer un discours à son enterrement, je ne savais trop quoi dire.  Il était devenu notre « chef », nous étions encore sous le coup de ses crises d’hystérie, je n’avais pas le recul nécessaire. En mourant il me cédait sa place que je ne convoitais pas. Aujourd’hui, je saurais quoi dire.

Une fois de plus, tout ce qui précède n’est en aucun cas ce dont je voulais parler ici, ni dans la tonalité que je voulais donner à ce texte. Mais souvent des chapitres s’imposent, des vérités se font jour par le simple fait de vouloir raconter les choses au plus juste.

A cette époque, ayant créé un nouvel organisme de formation, sous l’impulsion d’Hervé qui, dans une vision politique dont je serai toujours incapable, avait décidé d’en faire une société coopérative plutôt qu’une structure associative, nous avions « perdu » la formation des élèves instituteurs. Nous la regagnerons, au lendemain de la mort d’Hervé. Une histoire de confiance gagnée aussi, je pense. J’eus alors l’impression de retrouver mon troupeau délaissé quelques années. Je m’attribuai (et on me laissa allègrement le faire, je crois), l’essentiel de ces jours de formations à Quimper. Je rêvais alors secrètement, sans jamais rien faire pour que cela arrive néanmoins, de me consacrer un jour entièrement à la formation du personnel enseignant des écoles D., de ne plus être un « sous-traitant », d’être embauché directement par l’organisme de formation des dites écoles. C’est finalement ce qui advint dans une étrange conjonction de circonstances qui me firent quitter mon ancienne boutique, ma femme, mon jardin pour aller vivre à « l’ombre de mon amante de pierre ».

Et puis, j’eus l’impression de m’être installé dans une routine qui risquait de devenir ennuyeuse. Le rythme scolaire, des groupes constitués pour une année entière, un public beaucoup moins divers que celui des stages « tout public » qui étaient mon quotidien d’avant. Et puis un monde de non dit, de cloisonnement, un désintérêt certain de mes supérieurs pour mon travail.

Mais les satisfactions venaient encore du lien qui se tissait avec les étudiants. J’ai dans ma façon d’enseigner une implication très affective qui peut glisser, selon les circonstances, du côté de l’avantage ou de l’inconvénient. Il me plaisait d’être celui qui avait une relation personnalisée avec les élèves, humaine, d’autant que le directeur, dans ce domaine, ne remplissait pas le moindrement son rôle. Et puis, depuis trois ans, sans que je puisse dire à quoi cela tenait, de mon attitude ou de celle des étudiants, quelque chose s’était cassé. J’étais affecté de constater, que, de plus en plus d’étudiants ne pensaient même pas à me dire bonjour le matin alors qu’ils saluaient leurs camarades. J’étais le prof, situé au-delà d’une infranchissable barrière, une machine tout juste bonne à délivrer du savoir. Finies les soirées au bar ou au resto, je n’étais plus fréquentable.

Mais il y eut hier soir. Je vous épargne la longue description de ce groupe à nul autre pareil, à l’énergie peu canalisable, au brouhaha constant mais la plupart du temps né de l’intérêt, mais aussi à l’adhésion indéfectible à tout ce que je proposai en cours d’année et enfin d’un Karagar zen, cool et diplomate sans faillir, fidèle à une résolution prise en lui-même en début d’année. Les journées passées avec eux furent sans doute les ballons d’oxygène qui me sauvèrent de l’enfer intolérable de l’autre groupe maintes fois évoqué. Néanmoins, la relation, bien que chaleureuse, restait très distanciée, sur le modèle prof/élèves,  aidée en cela par un groupe de jeunes femmes au comportement très enfantin.

Ils avaient convenu de festoyer à Brest pour fêter la fin d’année et lundi, oh surprise, j’y fus convié. Je dois dire qu’alors que je n’avais pas encore décidé de m’y rendre ou pas, l’invitation me fit grand plaisir.

(à suivre)

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Commentaires
K
"Je m’attribuai (et on me laissa allègrement le faire, je crois), l’essentiel de ces jours de formations à Quimper."<br /> Puisqu'il en est question, j'oserai dire qu"allègrement" n'est peut-être pas le terme exactement adéquat. Mais bon...
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