Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
EN ALAN AR MEURVOR
EN ALAN AR MEURVOR
Publicité
Derniers commentaires
Archives
15 mai 2009

LA SALE PHRASE QUI GÂCHA MES VACANCES

Prologue :

Parfois on se voit faire des choses ou adopter une attitude et le regret en vient avant même d’avoir terminé son geste. On sait qu’il va être mal interprété, on sait qu’on va se trouver ridicule mais avoir agi ainsi n’était pas moins irrépressible que le cri dans la douleur. La douleur physique fait l’unanimité. Ce que les autres maux déclenchent en nous en revanche nous est singulier…

Ce soir là, je n’étais pas bien. Pas bien en moi, pas bien parmi les autres. La vodka coulait à flot, et le vin aussi.  Les russes avaient le verbe haut et leur regard glissait sur moi. C’était de ces soirées où j’ai peur. J’avais peur de l’ivresse des autres, de mon mutisme qui s’installait, de mon visage, si éloquent en la matière, qui tôt ou tard traduirait mon malaise. Une trop longue vie derrière moi sans banquet ni joyeuseté de ce genre et par moment, je me raidissais. C’est l’été, il fait chaud. Je me sens fatigué. Augustine, à mes côtés, ne cesse de me convier à un bain de minuit, à poil, dans la piscine du jardin. Ca me stresse.

Un joint passe autour de la table. Quand mon homme s’en saisit, je bondis sur lui, pour l’en empêcher, c’est plus fort que moi, je ne veux pas voir ça. Ca m’anéantit. Au moment où je le fais, j’en conçois une honte brûlante. Il n’y avait rien de moralisateur ou de sage dans mon geste, rien qu’une réaction traumatique. J’aurais voulu qu’il n’y ait aucun témoin, mais comme Vlad a un peu réagi à mon geste, Olga l’a vu. Elle pense avoir assisté à une querelle. Je la revois s’agenouillant au pied de ma chaise, me prodiguant des paroles apaisantes : ça n’est rien, vous vous aimez. J’ai tellement honte…

Heureusement, le bain de minuit éclaircira les esprits…

Le plus drôle de l’histoire est que j’ai une tête à shit ! Je ne compte plus les fois où des mecs me suivent discrètement (hélas, non, ça n’est pas ce que vous pensez) pour m’en proposer où m’en acheter. J’ai même un ami qui me montre ses plantations avec un clin œil et n’attend que le moment de m’y faire goûter. Je risque de le décevoir… Après tout c’est peut-être l’occasion d’essayer…

Quand j’étais petit garçon, mes sœurs faisaient des messes basses où il était question de drogue. Je n’y voyais qu’un de ces multiples secrets d’adultes qui m’étaient, par nature, inaccessibles.

J’ai su que ma sœur aînée prenait réellement de la drogue dans notre maison de Bretagne, pendant les vacances d’été. Cette année là, ni mon frère ni mon autre sœur n’étaient là. Les parents dormaient dans la pièce du bas et les enfants se partageaient la pièce unique, sous le toit. Je m’entendais bien avec mes sœurs. Ma sœur aînée, je l’avais en quelque sorte, au fil des années, apprivoisée. Plus petit, j’avais ressenti chez elle, une forme d’hostilité à mon égard, liée au fait que j’étais un garçon. Trop garçon pour plaire à ma sœur, pas assez pour plaire à mon frère. Il avait fallu louvoyer. Mais à l’heure où je vous parle, la tonalité était plutôt à la complicité. Ma sœur avait estimé que, devant être continuellement ensemble cet été là, j’aurais tôt fait de remarquer quelque chose. Elle a donc joué la carte de la transparence. Ce soir là, dès que la lumière fut éteinte, elle se mit à sniffer dans son lit. Le bruit m’agaçait et m’était incompréhensible. « Mouche-toi, au lieu de renifler comme ça, c’est pénible ! », avais-je finalement lancé. « Je me drogue », was the reply. C’était une forme de coming-out, vous savez ces phrases dites trop rapidement et trop sèchement pour qu’on les croie normales. J’attendrai bien longtemps pour la mienne, de phrase…

L’annonce alors, m’avait semblé dramatique. Quelque chose surgissait, qui était grave à mes yeux d’enfant, et que je ne savais pas par quel bout prendre. Ma Bretagne, tant attendue pendant toute l’année, s’était obscurcie.

Je ne me rappelle plus la chronologie de ce qui suivit. Mais l’addiction de ma sœur et son état s’aggravèrent. Pendant près d’une décennie, je pense. J’ai déjà évoqué tout cela dans ce blog, ou un autre, mais je veux redire que les problèmes de ma sœur on donné sa tonalité à mon adolescence. Au fond, je crois que mon traumatisme ne vient pas tant de ma sœur (j’ai affronté le problème, j’ai questionné, parlé, plaisanté, volé des ordonnances à mon frère pour elle, couvert ses secrets…) que de la chape de silence qui a entouré tout cela à la maison pendant ces longues années. Je ne crois pas avoir entendu ma mère évoquer le problème une seule fois. Et tout le monde concourrait, plus ou moins consciemment, à maintenir son silence, à éviter ses réaction que l’on craignait. Ce silence m’emprisonnait, donnait à ma vie l’image d’un bourbier dont on ne peut rien faire pour se sortir. Ma sœur était devenue une chose innommable, un monstre qui errait et titubait dans la maison. Au pire de cette période, elle ne sortait de son lit que pour les repas. Je ne quittais pas ma sœur du regard, pour anticiper ses maladresses (elle avait beaucoup de mal à tenir sa fourchette). Je vivais les repas comme un calvaire quotidien, de voir ces regards fuyants, d’entendre ces conversations constipées à force d’éviter l’essentiel. Et puis, cet effort constant et de tous pour maintenir l’hypocrisie qui était pourtant notre bagne. Se lever dans la nuit, alerté par des bruits étranges, effacer les traces de sang (elle se cognait partout), les reliefs de collations incongrues et laissées telles quelles, ramasser les chaussons perdus... Eteindre l’incendie de son lit et cacher les couvertures à moitié carbonisées. La maison est emplie d’une épaisse fumée. Personne ne pause de question.

Et puis le week-end, amphétamines pour se réveiller et à Paris, en boîte. Retour le lundi. Parfois assez tard. Ma mère soupirant devant la fenêtre à l’attendre. Reviendra-t-elle vivante ? Ses soupirs disaient cela mais, de mots elle n’en dit aucun, ni à ma sœur quand finalement elle rentrait, ni aux autres. C’est à cette époque que mon corps s’endolorit de maladies imaginaires.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur sa sortie progressive, définitive et exemplaire de la drogue, du rôle que j’estime le plus humblement du monde y avoir eu, sauf pour relever deux détails. Sa guérison, tout d’abord, ne provoqua point le déliement des langues. Ces dix années n’ont tout simplement pas existé dans l’histoire de la maisonnée. Elle-même, qui était fort diserte avec moi sur sa passion unique, ne l’évoqua plus jamais, même en tête à tête avec moi qui en fut le témoin privilégié, le seul complice.  Je ne crois pas me tromper en affirmant être le seul à parler encore de cette histoire, notamment ici même. C’est un peu de mon histoire à moi aussi qui est niée dans ce non dit. Parfois j’ai envie de leur gueuler : qu’avez-vous fait ? Que se serait-il passé si le petit garçon n’avait pas été là ? La seconde chose que je voulais ajouter, qui est loin de n’être qu’anecdotique, est que quand elle fut guérie nous entamâmes l’apprentissage de la langue bretonne.

Alors, évidemment, la plupart d’entre vous l’auront compris, c’est le dernier post de Karregwenn qui suscite celui-ci, et tout ce qui précède n’est qu’un rappel de l’origine du mal. La façon bien pesée dont il est écrit m’en a rendu la lecture sereine. J’ai pourtant du mal en général à entendre une personne proche rien qu’évoquer ce genre d’expérience. J’ai beau connaître les raisons du traumatisme et avoir aujourd’hui un certain recul vis à vis de mes réactions, celles-ci n’en demeurent pas moins très fortes. Il m’est quasi insupportable d’imaginer les personnes que j’aime dans un état second, d’imaginer leur regard changer (j’ai tellement vu ces changements dans les yeux qui rendent méconnaissable). Il y a dans tout cela, au filtre de mon émotion, quelque chose qui va à mon encontre, qui me tient à distance, qui m’exclut. Car assez paradoxalement, de n’en n’avoir pas envie, ni de m’en sentir capable, le mot est faible, me ramène à une vieille et détestable image de moi, de celui qui n’ose rien, qui est craintif et je suis comme au regret de ne pouvoir suivre la marche. J’arrête là la description de ce malaise que je désirais développer plus avant, car je pressens qu’elle m’entrainerait dans des profondeurs où je n’ai pas envie d’aller. De fait, je ne suis plus dans ma vie confronté à ce genre de chose, mais le démon est là, en embuscade.

Que Karregwenn se rassure, ce ricochet est plus léger qu’il n’y paraît.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
"Les problèmes de ma sœur on donné sa tonalité à mon adolescence."<br /> Une phrase qui m'a happé au passage, dans ce jeu des blogs où on lit chez les autres en recherchant sans cesse un reflet, un écho de soi-même.<br /> <br /> Je pourrais dire exactement la même chose. Et pourtant, les paramètres étaient bien différents. Pas de drogue, mais une psychose maniaco-dépressive. Qu'on a mis un temps fou à diagnostiquer, car dans ces cas-là, les premiers symptômes sont toujours lents et intermittents, avec de longues plages d'accalmie.<br /> Chez moi aussi, il y avait un autre petit garçon qui tremblait pour sa soeur. Mais, chez nous, on en a parlé... Ah, qu'est-ce qu'on en a parlé... Au point, paradoxalement, d'en étouffer. Les trois autres enfants de la famille (une autre soeur et deux frères, autre point commun avec toi apparemment...) ont dû se taire et se faire oublier. Pendant une dizaine d'années, pratiquement toute la vie de la famille n'a tourné qu'autour d'elle.<br /> Je comprends bien que le silence familial sur un problème puisse être traumatisant. Mais l'excès inverse est aussi très très douloureux.<br /> <br /> Quoi qu'il en soit, merci pour ta note, belle et émouvante.
Répondre
K
Krgwn> Ah, j'hésite, j'ai collecté bien mieux aujourd'hui ! On aura p'têt bien du Kernev à la place du Kernow !
Répondre
K
Ben alors, la mer qui gronde, elle est où ?
Répondre
C
Oui certainement pas spectateur (je ne voulais pas écrire acteur non plus, même si cela en est plus proche et même si tu n'étais pas en possession du scénario), mais pour moi c'est très clair depuis le départ.<br /> <br /> Moi je crois que je suis accroc aux Renonculacées (cela n'est pas une surprise totale, mais je m'aperçois que malgré moi, je me dirige vers elles).
Répondre
K
Cornus2> Oui, sans doute, je n'ai jamais encore écrit le post que je voudrais sur les rhodos, mais le terme de drogue me done un piste.<br /> Sinon, je crois avoir déjà dit que je suis détenteur d'un secret sur une variété de rhodo dont il suffit de sniffer le polle pour que...
Répondre
Publicité