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EN ALAN AR MEURVOR
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13 novembre 2008

LIEU DE NAISSANCES

         Les choses se mettent parfois curieusement en place. Des ressorts tendus de loin en loin dans la mécanique de la vie se détendent à un moment dont on dirait, par pure inconscience sans doute, qu’eux seuls en comprennent l’opportunité. Et quelque chose accouche, sans douleur ou dans la souffrance. Mais l’accouchement douloureux ne présage pas toujours d’une mauvaise destinée, n’est-ce pas ? C’est sans lien conscient de cause à effet que j’emporte dans mes bagages, afin de divertir mes heures ferroviaires, un livre qui me fut offert par ma belle-sœur sur les cathédrales gothiques. J’imagine assez, avant d’en entamer la lecture, qu’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation qui me sera surtout source d’apprentissage de l’anglais que de l’histoire de l’architecture. Mais très vite, le propos s’avère passionnant, pointu et rénove ma vision des choses sur certains points. Le livre détaille, forcément, la naissance de l’art gothique en Ile de France et me ramène donc à Saint Denis où la journée du lendemain me destine. Une analyse très pertinente sur la nouvelle plastique murale en gestation est formulée à l’occasion de l’examen d’un édifice présenté comme précurseur et dont j’ignorais totalement l’importance historique, j’ai nommé Saint Pierre de Montmartre. L’occasion est rêvée d’aller découvrir cet édifice. Beau clin d’œil de l’Histoire encore si l’on se souvient que Montmartre, c’est, étymologiquement, le Mont Martyr, lieu supposé du martyr de… Saint Denis.

Saint Denis est une église qui me fait parfois enrager car beaucoup l’abordent sachant que c’est là que naquit l’art gothique. Or l’église qui s’offre à eux, passée l’avant-nef, est au contraire le premier édifice entièrement construit en gothique rayonnant qui marque le parachèvement de l’idéal gothique. La grande épopée se termine là.  Pendant les deux siècles et demi qui suivirent on ne sut faire que des variations sur ce schéma tellement abouti qu’il en fut sans doute un peu sclérosant. C’est à la fin de la visite, à l’extrémité orientale en réalité, qu’on peut voir l’acte de naissance du gothique, dans le déambulatoire, seul vestige de l’église de l’abbé Suger, et plus vieux d’un siècle que l’espace que l’on vient de parcourir. Le non initié ne le voit pas, ce siècle où toute la grande histoire du gothique s’inscrit, qui sépare le déambulatoire du chœur qu’il enserre ! J’enrage donc de ne pouvoir ramasser en une phrase ces cent années qui furent à mes yeux la plus formidable, la plus héroïque, la plus fulgurante, la plus novatrice de toutes les pages de l’histoire de l’architecture et soudain je comprends. La chose me saute aux yeux avec une évidence aveuglante : ce siècle si riche, on le voit à peine ! A qui ne sait regarder la section d’une ogive, le profil d’une colonne, les détails d’un chapiteau, l’archaïsme du déambulatoire peut passer totalement inaperçu. N’importe quelle autre construction gothique contemporaine du déambulatoire de Saint Denis, ou même un peu postérieure, mise en contact avec la cage de lumière qu’est le chœur rayonnant de cette même église, eût paru à l’inverse « préhistorique ». C’est bien la le génie de cette œuvre, qui fut la première : son avance sur son temps. Les œuvres fondatrices sont bien souvent plus modernes que celles qui leur succèdent et s’en inspirent.

Notre visite privative est des plus instructives grâce à un jeune et séduisant guide qui est un grand connaisseur de l’histoire médiévale. Les thèmes abordés, sur l’histoire de l’Eglise, ses liens avec le pouvoir, les évolutions des mentalités et du regard sur la religion sont ceux qui me passionnent. Au fond, c’est à Saint Denis que s’invente conjointement ce que j’aime le plus et le moins de la culture française : le gothique et le centralisme. Terrible paradoxe à gérer !

Le temps est enfin arrivé où le guide, tel le héros d’un roman, sort son trousseau de clefs innombrables et nous ouvre les « entrailles de la cathédrale ». Je ne suis d’ailleurs pas le seul à voir défiler les salles et les escaliers au travers du filtre de la fiction. Vladimir me susurre : que d’endroits pour qu’un « moine » se cache ! Après avoir admiré la structure en chêne du beffroi, restée intacte depuis Suger lui-même, nous arrivons sur la galerie au pied de la tour, je recherche le meilleur angle de vue sur les arcs-boutants, mais le temps nous est un peu compté et je sens que le moment de la redescente est imminent. Seulement voilà, dès qu’il avait été question de cette escapade, une image fantasmatique s’était formée dans ma tête qui n’était fondée sur aucune assurance préalable : le triforium, parcourir l’un des premiers triforiums ajourés de l’histoire du gothique ! Bien qu’on objecte parfois qu’il n’est nullement souhaitable de réaliser tous ses fantasmes, je décide, ayant repéré quelques portes suspectes, de donner un coup de pouce (pousse ?) au destin. « Une petite porte donnant sur le triforium, tu n’aurais pas ça au catalogue ? ». Ah parfois, la réalité s’accorde aux songes. L’endroit n’est vraiment pas destiné au public, trop étroit, trop dangereux. Je sais qu’on ne nous accordera que quelques précieux instants. Je parcours donc au plus vite - laissant les autres à la naissance du boyau, là où une rambarde de fortune protège de la chute – toute une longueur de nef. On dira de moi que je ne suis pas sensible au vertige ! Et pourtant…  La passion donne des ailes.

Saint Denis… Au moment de quitter la basilique, des souvenirs convergent. Ne serait-ce pas un endroit consacré aux points de départ ? En cette ville, j’enseignai le breton pour la première fois de ma vie, à la fac. A Saint Denis aussi, dans le parc, presqu’à l’ombre de la basilique, je décidai, dans le secret de mes pensées, bien que la personne concernée fût à mes côtés, de revenir sur la réponse négative que j’avais faite peu de temps auparavant, de dire finalement oui et de tenter la vie avec une femme.

Le rêve de la cage de lumière enfin réalisé

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Le triforium enfin se laisse tranpercer par la lumière... n'était-ce pas la devise de Suger, un siècle plus tôt ?

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A l'assaut du massif occidental...

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Des salles que n'aurait pas reniées un certain moine...

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Les avirons du grand vaisseau...

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Le beffroi de Suger...

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Enfin !

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Nouvelles perspectives...

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Commentaires
K
Ben oui, je sais bien ! Un instant d'égarement, mon cher !
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K
Kridienn> Tu dois bien savoir que c'est risqué de comementer ici... et qu'il faut toujours tourner sept fois son clic entre ses doigts, hi!hi!hi!
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K
Bon, j'aurais mieux fait de m'abstenir, c'est ça ? Karagar, tu y vas un peu fort, quand même ! Mea culpa, mea maxima culpa !
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C
Génialissimement magique. Les photos, bien sûr, mais aussi le récit et les explications techniques. Comme après le compte rendu déjà très documenté de Madame K, je réitère mon intérêt pressant d'aller voir la belle. Et comme ça, je me donnerai peut-être l'occasion de ne pas trop enrager en visitant moins idiot.
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K
Kleg> Hi!hi!hi! Graet he deus VAN da lenn! N'eo ket Doue permetet !
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